Un procès verbal d'infraction à la loi de 1874 dans une verrerie
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Usage pédagogique
- Date du document : 19/07/1889
- Référence : M 2396
- Auteur(s) : Louis Ernest Valant
- Lieu(x) : Saint-Évroult-Notre-Dame-du-Bois
- Période(s) : De 1815 à 1914
Présentation :
Ce document permet d’illustrer les difficultés d’application de la loi de 1874 présentée dans l’introduction de ce chapitre. Il s’agit d’un procès-verbal réalisé le 19 juillet 1889 dans la verrerie de Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois par Louis Ernest Valant, inspecteur divisionnaire du Travail des Enfants et des filles mineures dans l’industrie. Ce corps d’inspection est créé par la loi de 1874 pour veiller à sa bonne application. Chaque inspecteur est affecté à une des 15 circonscriptions créées en 1875, qui seront étendues à 25 en 1885 pour leur faciliter le travail. Malgré cette modification, le périmètre de chaque inspecteur reste très étendu : il couvre ici les départements du Calvados, de l’Orne, de la Manche et de la Mayenne.
La verrerie de Saint-Evroult visitée par l’inspecteur Valant est alors un établissement important en activité depuis 1837. Fondée par M. Grégoire-Gassot, elle est reprise en 1883 par M. Dingreville (ou Dhingreville), visé par le procès-verbal présenté ici. Elle est spécialisée dans la fabrication de flacons pour pharmacie et parfumerie et emploie environ 140 ouvriers au début du XXe siècle. Elle reste en activité jusqu’en 1935.
Comme on l’a indiqué dans la présentation du chapitre, le secteur de la verrerie bénéficiait de dérogations à la loi de 1874 puisqu’il pouvait employer les enfants de 10 à 12 ans, à condition toutefois que leur temps de travail quotidien ne dépasse pas 6 heures. Les « gamins » des verreries étaient employés à diverses tâches : transport des objets, manipulation des moules (voir la carte postale présentée dans ce chapitre). Dans les verreries, les conditions de travail des ouvriers sont particulièrement difficiles. Ils doivent supporter les chaleurs extrêmes du four et soutenir des cadences d’autant plus rapides qu’ils sont payés à la pièce. Les enfants subissent les mêmes conditions. Les accidents sont fréquents et les violences exercées par les adultes ne sont pas rares non plus.
Dans son procès-verbal, l’inspecteur Valant constate plusieurs infractions à la loi de 1874. D’abord, sept enfants de moins de douze ans travaillent plus des six heures maximum autorisées. Par ailleurs, les articles de la loi de 1874 ne sont pas affichés dans l’atelier.
L’inspecteur était déjà venu six mois auparavant et avait constaté les mêmes infractions. Dingreville s’en était alors tiré avec un simple avertissement. D’une manière générale, les inspecteurs étaient incités à agir de manière modérée et à ne sanctionner qu’en dernière extrémité. On reste alors dans une logique libérale : il ne faut pas trop entraver la liberté d’entreprise. Des amendes sont prévues cependant pour les contrevenants, entre 16 et 40 francs par infraction, ce qui n’était pas négligeable sachant qu’au début du siècle, les enfants employés à la verrerie de Saint-Evroult touchaient environ 12 francs par mois.
On voit bien ici les limites de la loi de 1874 : non seulement, elle ouvre de nombreuses possibilités de dérogation, mais en plus elle peine à être appliquée.
Transcription :
L’an mil huit cent quatre-vingt neuf et le dix neuf du mois de juillet, à quatre heures et demie du soir.
Nous, Louis Ernest Valant,
Inspecteur divisionnaire du Travail des Enfants et des filles mineures dans l’industrie de la onzième circonscription des départements, du Calvados, de l’Orne, de la Manche et de la Mayenne dûment commissionné et assermenté, nous étant transporté, muni de notre commission, à Saint-Evroult Notre-Dame du Bois de l’arrondissement d’Argentan dans la verrerie du sieur Dhingreville Valentin soumise au régime de la loi du 19 mai 1874, nous avons reconnu ce qui suit :
- Les enfants Postel Gaston, âgé de 11 ans
- Desmais Désiré Auguste, âgé de 11 ans
- Cheron Adrien Désiré, âgé de 11 ans
- Thurbet Georges, âgé de 10 ans
- Sellier Julien, âgé de 11 ans
- Poirier Félicien, âgé de 10
- Léboé Léon René, âgé de 10 ans
Travaillaient plus de six heures par jour contrairement aux prescriptions du §1 de l’art. 3 de la loi du 19 mai 1874.
L’affiche de la loi du 19 mai 1874 et les règlements d’administration publique relatifs à son exécution n’étaient pas affichés dans l’atelier contrairement aux prescriptions de l’article 11 de la loi du 19 mai 1874.
L’Inspecteur qui avait déjà trouvé l’industriel en contravention aux mois de décembre dernier, lors de sa première visite, avait cru devoir user d’indulgence à son égard en se bornant à lui donner avis de ne plus avoir à faire travailler à l’avenir les enfants de 10 à 12 heures plus de 6 heures par jour. Il est obligé de reconnaître aujourd’hui que celui-ci persiste à violer la loi à ce sujet, sans tenir aucun compte de ses observations.