Les progrès de l'hygiène publique gagnent les gros bourgs ruraux : exemple de Trun en 1883
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Usage pédagogique
- Date du document : 19/04/1883
- Référence : M 1340
- Auteur(s) : Arthur Leroy
- Lieu(x) : Trun
- Période(s) : De 1815 à 1914
Présentation :
Le document présenté est un arrêté pris par Arthur Leroy le maire de Trun en avril 1883 pour lutter contre l’insalubrité à l’intérieur du bourg. Comme les autres documents présentés dans ce chapitre, il nous permet à la fois d’appréhender une situation et d’illustrer une évolution. La version intégrale de ce document est disponible au format pdf par le lien ci-dessus ; la transcription se trouve ci-dessous.
Une situation d’abord : celle de l’hygiène publique dans cette petite ville à la fin du XIXe siècle. A cet égard, les considérants de l’arrêté dressent un tableau peu satisfaisant. Les nombreuses mares à fumier présentes dans le bourg constituent une menace pour la santé publique. Le fumier ne devrait être en principe constitué que des déjections animales ; or, le maire déplore que ces mares servent en fait de « dépotoir » où les habitants se débarrassent de tous leurs déchets, y compris des charognes.
Et une évolution : ces mares nauséabondes paraissent désormais inacceptables selon les nouveaux critères de l’hygiène publique et de l’urbanité « moderne ». Le maire redoute que les « miasmes » ne prolifèrent dans les fumiers et constituent ainsi des foyers de maladie. Le terme « miasme » renvoie à la théorie néohippocratique des maladies, selon laquelle la mauvaise circulation de l’air et les eaux stagnantes seraient toxiques car les matières en décomposition rejetteraient des corps responsables des maladies (voir le premier document de ce chapitre). Quand est pris cet arrêté, la révolution pastorienne a infirmé cette théorie, mais il n’en reste pas moins que les eaux putrides sont insalubres. En outre, en 1883, le choléra est de retour en France : « la maladie décime notre population ». On ne connaît pas alors les modalités exactes de la transmission de la maladie mais on sait que la contamination des eaux joue un rôle. Ainsi, le mouvement hygiéniste et la révolution pastorienne ont peu à peu diffusé dans la société et imposé de nouvelles normes d’hygiène.
Outre les questions d’hygiène, on peut considérer que cet arrêté, comme les autres documents présentés dans ce chapitre, témoigne aussi d’une nouvelle perception de l’espace public, particulièrement en ville ou dans les gros bourgs comme Trun. Des usages longtemps considérés comme normaux sont désormais inacceptables. Les perceptions du propre, du sale et de la souillure sont en transformation.
Signalons pour finir que de nombreux documents semblables pour d’autres communes sont conservés aux Archives ; les professeurs qui souhaiteraient faire travailler leurs élèves sur un lieu particulier peuvent nous contacter.
Transcription :
Département de l’Orne
Commune de Trun
[Tampon : ] Reçu à la sous-préfecture d’Argentan le 27 avril 1885
Arrêté concernant les mares à fumier
Le maire de Trun,
Vu les lois des 16, 24 août 1790 ; 18, 22 juillet 1791 et 18 juillet 1837 ;
Considérant qu’il appartient à l’autorité municipale de veiller à la salubrité publique ;
Considérant qu’il existe dans l’intérieur de Trun un grand nombre de mares à fumier exhalant des miasmes délétères qui engendrent des épidémies ou contribuent à en développer le germe ;
Considérant qu’un grand nombre de ces mares longent les rues et cours communes sans murs de clôture ou avec des clôtures insuffisantes, laissant couler leurs matières liquides sur la voie publique ou commune ;
Considérant que ces mares, accessibles à tous, servent de dépotoirs aux différents quartiers où elles se trouvent ;
Considérant qu’aux fumiers ordinaires on y mêle parfois du sang, les vidanges d’animaux, même les animaux morts ;
Considérant que ces matières animales transportées en putréfaction dans les champs avoisinant les habitations et laissées à découvert sont encore un danger pour la vie des habitants ;
Considérant que même la voie publique est parfois encombrée de dépôts de fumiers ou de terreaux ;
Considérant que cet état de choses ne peut être toléré plus longtemps surtout dans les circonstances actuelles où la maladie décime notre population ;
Arrête :
Article 1er_ Il est défendu à toute personne de faire le dépôt de matières animales ailleurs que dans des mares situées au moins à cent cinquante mètres des habitations.
Article 2 _ Ces mares devront être éloignées d’au moins vingt mètres des chemins ou des rues.
Article 3 _ Ces dépôts seront recouverts immédiatement d’une couche de paille.
Article 4 _ Les fumiers en provenant ne pourront être épandus que sur des terres placées aussi au moins à cent cinquante mètres des habitations et à vingt mètres des chemins et rues.
Article 5 _ Tout dépôt de fumiers ou terreaux sur la voie publique est formellement interdit.
Article 6 _Les mares à fumier existant à l’intérieur du bourg n’y seront tolérées qu’à la condition d’être inaccessibles au public dans un enclos fermé de murs d’une hauteur minimum de deux mètres trente-trois centimètres et de ne laisser couler aucun liquide sur la voie publique ;
Article 7 _ Dans les cours dont les issues sont ouvertes au public les propriétaires se conformeront aux dispositions de l’article précédent ou seront tenus de fermer par des murs ou des barrières les issues de ces cours.
Article 8 _ Toutes dispositions antérieures contraires au présent sont abrogées.
Article 9 _ Les contraventions seront constatées par procès-verbaux et poursuivies devant les tribunaux compétents.
Mairie de Trun, le 19 avril 1883
Signé : A. Leroy
Pour expédition conforme,
Le Maire de Trun
[signature]
arrêté hygiène Trun 1883 M1340.pdf