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Une carte de Rudolph Bonnem depuis Drancy

  • Usage pédagogique Usage pédagogique
  • Date du document : 01/11/1942
  • Référence : Archives du Mémorial de Yad Vashem (Israël)
  • Auteur(s) : Rudolph Bonnem
  • Lieu(x) : Drancy (Seine-Saint-Denis)
  • Période(s) : De 1914 à nos jours

Présentation :

Le document présenté ici est une carte interzone écrite le 1er novembre 1942 par Rudolph Bonnem et adressée à son oncle Alfred Kahn. Rudolph, 12 ans, est le cadet de Marcel et Gustel Bonnem ; c'est la plus jeune victime de la Shoah de la famille.

Comme on l’a vu dans ce chapitre, Rudolph est arrêté le 9 octobre 1942 à Alençon, rue des Granges, avec ses grands-parents maternels, Ida et Julius Kahn, sa grand-mère maternelle, Rebecca Bonnem, et sa tante Lilli (Germaine) Meyer (née Kahn). Ils étaient les derniers membres de la famille qui résidaient encore dans l’Orne. Trois mois auparavant, le 13 juillet, Gustel Bonnem, la mère de Rudolph avait été arrêtée avec Edith et Berthold, sa grande sœur et son grand-frère ; début août, après un passage à Pithiviers, ils furent déportés à Auschwitz, d’où ils ne reviendront pas. Au début du mois de septembre, son père Marcel, qui travaillait dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers dans l’Aude, est transféré à Drancy puis déporté et assassiné à Auschwitz. Les autres membres de la famille proche sont alors en zone Sud : la tante Herta, épouse Friedemann, est aux alentours de Lyon avec son mari Siegmund et ses 3 garçons. L’oncle Edgard, son épouse Liesel et leur fille Berthie sont à Lavelanet. Quant à l’oncle Alfred, son épouse Rosa et leur fille Béatrice, ils sont installés près d’Albi.

Après une détention d’une semaine dans la caserne Bonet, qui sert de prison pour la gestapo à Alençon, Rudolph et ses proches sont transférés à Drancy. Ils y arrivent le 16 octobre. Les conditions de détention sont très difficiles : les prisonniers sont entassés dans les appartements de la Cité de la Muette reconvertis en camp de transit depuis 1941. Le camp est sous l’administration de Vichy jusqu’en juillet 1943. Différents services administratifs et policiers y travaillent, notamment la police des Questions juives qui multiplie les exactions envers les détenus. L’ensemble est sous la surveillance de la Gestapo. Comme l’écrit Laurent Joly (L’Etat contre les juifs, Paris, Grasset, 2018), le camp est donc « un microcosme de collaboration administrative et policière ».

La nourriture est rare et les prisonniers ne peuvent pas cuisiner. Ils dépendent donc des colis qu’ils peuvent espérer recevoir. Comme l’écrit Rudolph, les contacts avec l’extérieur sont limités : une lettre par personne tous les 15 jours. C’est sans doute la raison pour laquelle le petit groupe de la famille Kahn/Bonnem a chargé Rudolph d’écrire à Alfred et Rosa. Chacun a dû utiliser son droit de correspondance pour contacter une personne différente afin de multiplier les chances d’obtenir un colis alimentaire. Les courriers peuvent être censurés et c'est peut-être ce qui est arrivé à une partie de cette carte où certaines lignes semblent avoir été effacées.

Comme l’écrit Lilli Meyer dans un courrier adressé à son mari Albert (voir le document dans ce chapitre), de nouveaux détenus arrivent tous les jours dans le camp déjà surpeuplé. L’administration du camp s’empresse donc de faire de la place. C’est la préfecture de police, en accord avec la gestapo, qui décide de la composition des convois à destination d’Auschwitz. Les juifs étrangers sont les premiers choisis. Ainsi, Rudolph et ses grands-parents ne restent pas longtemps à Drancy. Le 5 novembre, les autorités françaises en charge du camp de Drancy les remettent entre les mains des Allemands. Le 6 novembre, ils sont déportés pour Auschwitz à bord du convoi n°42, qui arrive à Auschwitz le 8. Etant donné leur âge, Julius, Ida, Rebecca et Rudolph sont très certainement immédiatement « sélectionnés » sur la rampe de la gare de Birkenau et assassinés dans les chambres à gaz. Lilli, française, reste seule à Drancy ; elle sera déportée à Auschwitz en février 43 par le convoi n°48 et assassinée.

Transcription :

Drancy, le 1-11-42

Chère Oncle et chère Tante,

Tout d’abord je vous écris pour savoir si vous-même, ceux de Lyon et de Lavelanet sont tous chez eux. Nous 5 sommes à Drancy depuis 2 semaines, car nous étions une semaine à Alençon dans la caserne Bonet. J’espère que vous êtes tous en bonne santé et que vous avez bon moral ici tout le monde va bien sauf la nourriture.

Essayez des colis et [passage censuré ?] de [passage censuré ?]

cette carte

si nous partons d’ici et quand. Il peut y avoir dans le colis fruits, biscottes, tout ce qui est cru car nous n’avons pas la possibilité de faire cuire quelque chose ici. Le colis peut avoir le poids que l’on veut, le mieux serait de l’expédier par colis éspress. Les deux grand-mère, grand-père et tante Lili ont écrit à d’autres gens car nous n’avons le droit d’écrire seulement tout le 2 semaine. Voici mon adresse : Rudolph Bonnem escalier 6 bloc 2 premier étage Camp de Drancy. Maintenant il n’y a plus que l’espoir de se revoir qui fait vivre. Ici il y a des douches et j’y vais toutes les semaines. Je finis en vous embrassant tous bien fort votre Rudolph.

[ajouté par Ida Kahn] Mes chers j’espère que vous êtes en bonne santé et ensemble aussi les autres. On nous a arrêté le 9 octobre. J’espère et je attends. Je vous embrasse très fort votre mère, père, Lilli.

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