Raymond Ciroux et Jean-Jacques Pilou : deux lycéens résistants
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Usage pédagogique
- Date du document : 28/07/1942
- Référence : 2 W 27
- Auteur(s) : Renseignements généraux
- Lieu(x) : Alençon
- Période(s) : De 1914 à nos jours
Présentation :
Le document présenté permet d’illustrer le processus d’engagement dans la Résistance de deux jeunes lycéens. Il s’agit d’un extrait du rapport rédigé par le commissaire spécial des renseignements généraux à l’attention de son supérieur à Rouen ; il présente la situation politique, économique et sociale du département. L’intégralité du rapport est disponible au format pdf par le lien ci-dessus.
Le passage évoque les actions menées par Raymond Ciroux, 17 ans, élève au lycée d’Alençon et Jean-Jacques Pilou, du même âge, scolarisé en 3e année de cours complémentaire de l’école primaire supérieure d’Ozé à Alençon. Rappelons que les cours complémentaires accueillent les élèves qui ne peuvent aller au lycée, en raison de leur niveau insuffisant ou de leur manque de revenus (le lycée était payant). Dans la nuit du 19 au 20 février, les deux camarades ont arraché « 27 panneaux de signalisation de l’armée occupante » et les ont « déposés dans un carrefour » de la ville. L’objectif était évidemment de perturber les déplacements de l’armée allemande mais aussi de manifester symboliquement le refus de l’occupation.
L’enquête de la police française aboutit rapidement à l’arrestation des deux compères le 25 février et leur interrogatoire révèle qu’ils n’en sont pas à leur coup d’essai. Le rapport indique qu’ils reconnaissent des « inscriptions tendancieuses » (slogans gaullistes et anti-Vichy, « V ») sur les murs de la ville et même sur « la voiture du commandant » de la Kommandantur d’Alençon ainsi que le bris des vitrines du magasin Romet et de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme. C’était une organisation collaborationniste créée en juillet 1941 pour recruter des auxiliaires de la Wehrmacht contre les troupes soviétiques.
Dans un entretien réalisé par Gérard Bourdin en 1988, et publié dans le CD-Rom réalisé par l’AERI « La Résistance dans l’Orne », Raymond Ciroux revient sur ces épisodes. Il raconte que ses premières actions remontent à l’automne 1940 : avec ses jeunes camarades, il parcourt la ville en chantant des chansons hostiles à l’occupant. En janvier 41, comme l’indique d’ailleurs le rapport des RG, il tente de gagner la zone libre pour rejoindre les gaullistes en Angleterre mais il est arrêté à Tours par la gendarmerie, qui le ramène dans sa famille.
Raymond Ciroux rapporte également qu’à la fin du mois de janvier 41, leur action commence à s’organiser : avec ses camarades, il constitue un groupe de « Résistance des jeunes alençonnais ». Certains fabriquent des postes de radio, d’autres des tracts. Jean-Jacques Pilou, qui fait partie du groupe, trace des croix de Lorraine sur les murs de la ville. Arrêté, il est condamné à 14 jours de prison en avril 41 par les autorités allemandes.
En mars 41, après l’exclusion d’Yves Quérouil du lycée pour diffusion de tracts (voir document précédent), les jeunes gens déclenchent une manifestation de protestation dans le lycée. Le 11 novembre, ils organisent un défilé pour célébrer l’armistice et répondre ainsi à l’appel de la France Libre diffusé par la BBC. A partir de janvier 42, la petite bande multiplie les inscriptions de « V » et de Croix de Lorraine puis s’en prennent aux locaux de la LVF comme le rapporte le rapport des RG.
Ainsi, petit à petit, un groupe s’organise qui, sans être affilié à un réseau structuré, s’engage dans la Résistance. Mais Raymond et Jean-Jacques sont arrêtés et ils risquent gros. En août 1940, Michel (ou Martial) Coupry, 19 ans, a été exécuté pour avoir improvisé un barrage contre les véhicules de la Wehrmacht dans l’est du département ; son camarade Roger Coupé, 17 ans, fut condamné aux travaux forcés et mourra en déportation (voir dans ce dossier le chapitre « 1940. Entrer en Résistance »). Raymond et Jean-Jacques, eux, échappent au pire mais sont tout de même condamnés à plusieurs mois de prison (6 pour Raymond, 18 pour Jean, récidiviste). Dans son témoignage en 1988, Raymond Ciroux rapporte qu’ils ont bénéficié d’un mouvement de soutien dans la population et que le maire, Charles Chesneaux, est intervenu en leur faveur. Selon lui, ils ont aussi bénéficié de la bienveillance du commandant Schmidt, chef de la Kommandantur, qui ne souhaitait pas en « faire des martyrs ». Leur jeune âge enfin a plaidé en leur faveur, d’autant qu’ils ont joué les naïfs.
Quoi qu’il en soit, cela n’a pas dissuadé Raymond Ciroux de poursuivre son engagement dans la Résistance. Après son séjour de 6 mois à la prison de Caen, il entre en contact avec des membres de l’Organisation Civile et Militaire (OCM), le principal réseau de Résistance du département. Désormais sous les ordres de Daniel Desmeulles, il mène des missions d’agent de liaison, aide des réfractaires au STO, diffuse la presse clandestine. Dans la nuit du 11 au 12 août 1944, il rejoint les troupes du général Leclerc pour les informer que les troupes allemandes ont quitté Alençon et permet ainsi à la 2e Division blindée de prendre la ville sans difficulté.
L’exemple de Jean-Jacques Pilou et de Raymond Ciroux montre comment de nombreux jeunes gens, souvent encore scolarisés sont entrés en Résistance portés par leur courage et leur refus viscéral de l’Occupation.
Le rapport des RG du 28-07-42 (2W27)_compressed.pdf