Les tensions liées à la constitution civile du clergé
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Usage pédagogique
- Date du document : 26/10/1791
- Référence : (Arch. dép. Orne, L 6468)
- Lieu(x) : Couterne
- Période(s) : Révolution et Empire (1789-1815)
Présentation :
La question du serment de fidélité à la constitution entraîne les premières tensions sérieuses dans la France révolutionnaire. Ce rapport de l’accusateur public aux juges du tribunal de district à Domfront, à propos de l’intervention du clergé réfractaire et de quelques habitants de Couterne contre le curé constitutionnel, permet de mettre en évidence les fractures qui, dès 1791, se font jour au sein de la société française.
La constitution civile du clergé
On le sait, la convocation des Etats généraux avait pour objectif de trouver une solution à l’endettement du royaume. Or, l’effondrement de l’Ancien Régime au cours du printemps et de l’été 1789 ne règle pas la question financière. Le 2 novembre 1789, la Constituante vote donc la nationalisation des biens du clergé. Elle doit permettre d’assurer à la nation des revenus considérables. En contrepartie, l’Etat s’engage à assurer le traitement des prêtres, qui deviennent ainsi des fonctionnaires.
En juillet 1790, la Constitution civile du clergé organise les nouveaux rapports entre l’Etat et l’Eglise. Elle constitue un triomphe du gallicanisme qui affirme l’indépendance de l’Eglise de France à l’égard de Rome. Le nombre de diocèses est réduit de 135 à 83 pour ne plus en garder qu’un seul par département. On revendique un retour à l’Eglise des origines : désormais, les évêques et les prêtres sont élus par les citoyens actifs.
À cette période, le clergé, dans son ensemble, n’est pas hostile à la Révolution. Cependant, au sujet de la Constitution civile, il souhaiterait l’accord du pape Pie VI, lequel est défavorable depuis 1789 aux innovations révolutionnaires. La constitution civile accroît son opposition et suscite aussi le mécontentement des évêques privés de diocèse. En outre, le refus de reconnaître le catholicisme comme religion nationale crispe les positions du clergé et agite la France catholique. C’est le début du divorce entre l’Eglise de France et la Révolution. La question du serment va aiguiser les tensions.
Le serment de fidélité : jureurs contre réfractaires
Le 27 novembre 1790, la Constituante publie un décret qui oblige les ecclésiastiques à prêter le serment civique, un serment de fidélité à la loi et ainsi, de fait, à la constitution civile du clergé : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. » Le serment réaffirme donc clairement le principe déjà énoncé dans la constitution civile et selon lequel « le corps ecclésiastique est soumis au souverain politique » (Sophie Wahnich). La prestation doit se faire en présence des fidèles et des autorités municipales. Le refus signifie la démission ; le poste vacant est alors à pourvoir par de nouvelles élections.
En 1790, un serment est un acte fort, plus encore pour les membres du clergé qui craignent que cette affirmation de fidélité à la loi ne soit en contradiction avec les engagements pris lors de leur ordination. C’est un choix insoluble entre Paris et Rome, entre l’universalité de l’Eglise et la citoyenneté, entre la conviction intérieure et l’autorité de l’Etat (François Furet). Refuser ne signifie pas forcément une hostilité à la Révolution. Les curés se tournent vers leur hiérarchie mais les évêques eux-mêmes sont divisés ; on attend l’opinion du pape.
En janvier 1791, les constituants prennent conscience des risques de division portés par les questions religieuses et modèrent le décret de novembre 90. Les prêtres réfractaires non remplacés sont autorisés à rester dans leur paroisse ; on leur promet une retraite modeste. En mai, un décret dit « de tolérance » permet même aux réfractaires de célébrer l’office dans les églises constitutionnelles. Cela ne suffira pas à empêcher le conflit : en mars 1791, le pape Pie VI rejette la constitution civile et le serment. Il encourage les réfractaires et demande aux jureurs de se rétracter.
Le bocage ornais, un territoire majoritairement réfractaire
Dans l’ensemble du royaume, seuls 7 évêques et 52 % des curés prêtent serment. Dans l’Orne, l’évêque de Sées, Monseigneur d’Argentré, refuse de jurer, suivi par 53 % des prêtres réfractaires. Il y a de forts contrastes cependant entre l’Est et l’Ouest du département. Dans le Perche, on trouve 60 % de jureurs. A l’inverse, le bocage est une terre de réfractaires ; ainsi, ils sont 65 % dans le district de Domfront dont fait partie Couterne. La ligne de fracture qui va bientôt déchirer le royaume passe dans l’Orne. On se souvient pourtant qu’en juillet 1789, le bocage était très engagé dans le mouvement révolutionnaire, notamment dans les attaques de châteaux (voir le document « Le pillage du château de Couterne » dans ce dossier).
Les tensions ont commencé à se faire sentir au printemps 1790 quand les prêtres réfractaires ont dû quitter leur cure pour céder la place à leurs remplaçants assermentés. Pour la plupart, ces derniers sont étrangers au pays, donc à la communauté fondamentale de la société que constitue la paroisse. Ainsi, l’abbé Godier, nommé à La Chapelle Biche, pas très loin de Couterne, vient de Cavaillon ! Perçus comme des intrus, désavoués par le pape, ils ne sont pas bien accueillis. C’est vrai aussi à l’échelle du diocèse : le 30 août 1791, le nouvel évêque, l’abbé Lefessier, remplaçant de Monseigneur d’Argentré, est pris à partie et menacé par des habitants de Sées (Arch. Dép. Orne, L 6011). Dans le bocage, c’est encore plus flagrant. Les paroissiens désertent les offices et refusent de recevoir les sacrements des curés jureurs. L’abbé Godier ne bénit aucun mariage en 15 mois.
À Couterne, des échauffourées révélatrices des tensions qui parcourent le royaume
Au cœur du bocage, Couterne n’échappe pas à ce mouvement de refus des prêtres jureurs, qui préfigure un rejet plus global de la Révolution dans les années suivantes. Le document en atteste.
Il s’agit du rapport rédigé par l’accusateur public à l’intention du tribunal de district de Domfront. Les districts ont été institués par la loi créant les départements en décembre 1789. L’Orne est découpée en six districts : Alençon, Argentan, Bellême, Domfront, L’Aigle, Mortagne. Chaque district est doté d’un tribunal qui s’occupe en appel des affaires des justices de paix mais aussi des affaires criminelles jusqu’en 1792, date à laquelle on instaure un tribunal criminel au niveau du département. La bourgeoisie investit ces nouvelles fonctions. L’accusateur public joue en quelque sorte le rôle du procureur : il mène l’accusation au nom du Roi. Il surveille aussi les officiers de police du département.
L’épisode relaté dans le rapport de l’accusateur est très révélateur des tensions qui parcourent le bocage et l’ensemble de la société. Le 23 octobre 1791, Gallois, ancien curé de la paroisse, réfractaire démis de ses fonctions, accompagné de son ancien vicaire, et d’un collègue, Riboult, curé également (et sans doute également réfractaire) font sonner le tocsin dans l’église pour rameuter les habitants de Couterne. Ils sont accompagnés d’un certain Horeau, ancien procureur de la commune ; sa tâche était de représenter le roi et les contribuables auprès du conseil municipal. Ancien procureur, anciens curés, ancien vicaire, ce sont donc des notables qui en appellent ainsi aux paroissiens. Devant l’assemblée, ils réclament le rétablissement dans ses fonctions du curé réfractaire et veulent aussitôt organiser une messe. Pour appuyer leurs revendications, ils donnent lecture d’une « prétendue lettre du roi ». La parole du roi de droit divin (même inventée) vaut donc encore légitimation. L’affaire oppose donc ceux qui en tiennent pour la légitimité de l’ordre ancien à ceux qui, traités de « démocrates » par leurs adversaires, défendent les nouvelles institutions. On comprend en effet que la population assemblée est partagée : Gallois, Riboult et Horeau, les agitateurs pro-réfractaires, demandent « secours et protection » à l’assemblée. Ils se sentent donc menacés. Mais le curé jureur, tout récemment arrivé à Couterne, un certain Le Petit, est également pris à partie : « toutes les femmes ainsi que partie des hommes se disposaient à faire sur lui la plus impétueuse irruption ». Il doit être protégé par un paroissien, qui est giflé par une femme de l’assemblée. Les partisans du curé jureur et de l’ordre révolutionnaire doivent faire appel à un officier de garde nationale (de Flers ?) de passage dans le village. Ensemble, ils parviennent à protéger le nouveau curé et à le mettre à l’abri. Il semble tout de même que l’église reste entre les mains des partisans du clergé réfractaire.
L’accusateur public se situe évidemment du côté du curé jureur et des citoyens qui l’ont défendu et, dans cette perspective, il est possible qu’il exagère quelque peu les événements pour mieux accabler les responsables. Il n’empêche : l’épisode de Couterne n’est pas isolé. La communauté paroissienne se sent agressée par la destitution de « son » curé et son remplacement par un intrus assermenté. N’oublions pas que nous sommes dans une société profondément catholique : le curé est associé aux moments les plus importants de l’existence, les baptêmes, les mariages, les décès mais il est aussi une figure centrale de la vie quotidienne de la communauté paroissiale. En chassant les curés réfractaires, la Révolution porte atteinte à l’intime.
Les troubles qui touchent la commune révèlent de profondes fractures naissantes au sein de la société française. Deux camps vont s’affronter dans une opposition durable. Jusqu’alors, les innovations révolutionnaires n’avaient pas rencontré de véritable opposition mais la question du serment des prêtres touche à des sujets sensibles et contribue à créer l’antagonisme entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires.
Pour aller plus loin :
- Gérard Bourdin, Aspects de la Révolution dans l’Orne, 1789-1799, 1989.
- Gérard Bourdin, « La décennie révolutionnaire dans l’Orne. 1789-1799 », Mutations et permanences. L’Orne et la Révolution, Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, CVIII, 4, 1989, pp. 99-122.
- Pierre Flament, Deux mille prêtres normands face à la Révolution. 1789-1801, Paris, Perrin, 1989.
- Jean-Claude Martin, « La Révolution et l’Empire », L’Orne de la Préhistoire à nos jours, Ed. JM Bordessoules, Saint-Jean d’Angély, 1999, pp. 208-240.
- Georges Ohl, « Flers et ses environs pendant la période révolutionnaire », Le Pays Bas Normand, 102, 1955, pp. 66-105.
- Jacques Revel, Dictionnaire critique de la Révolution française, Furet, Ozouf éd., Paris Flammarion, 1988, s.v. « clergé ».
- Sophie Wahnich, La Révolution française. Un évènement de la raison sensible. 1787-1799, Paris, Hachette, 2012.
Transcription :
À Messieurs les juges du tribunal de district de Domfront.
Vous remontre l'accusateur public qu'il a été informé que, le dimanche vingt-trois du présent mois, le sieur Gallois, prêtre, ci-devant curé de Couterne, réfractaire à la loi qui ordonne le serment constitutionnel, le sieur Lelandais, ci-devant son vicaire, le sieur Riboult, prêtre, originaire de la paroisse de Couterne, et le sieur Horeau, ci-devant procureur de la commune de Couterne, ont méchamment entrepris de faire et d'occasionner du trouble et du désordre dans le bourg de Couterne, ont même formé un attroupement de gens turbulens et perturbateurs qui ont occasionné une rumeur populaire tendante à rétablir dans leurs fonctions les curés et prêtres non assermentés, qu'ils sonnèrent et firent sonner le tocsin pour assembler le peuple et que voïant la multitude nombreuse autour d' eux, ils lurent une prétendue lettre du Roi, laquelle, disoient-ils, les renvoioit dans leurs fonctions, qu'ensuite le sieur Horeau, ci-devant procureur de la commune de Couterne, dit en s'adressant à la multitude assemblée qu'il leur falloit des messes de leurs anciens prêtres, qu'il falloit les réintégrer en leurs fonctions et exercice et renvoïer le curé constitutionnel, que de suite le sieur Gallois, ci-devant curé, prétendit vouloir faire lui, son vicaire et le sieur Riboult, prêtre, vertu de la prétendue ditte lettre du roi, leur office, que ledit sieur Le Gallois et les deux ecclésiastiques susdits réclamèrent mesme à cet effet de la nombreuse assistance secours et protection, ce qui leur fut promis par le susdit sieur Horeau, au nom et pour toute l'assemblée. La scène alloit devenir sérieuse et vraisemblablement tragique ; mais heureusement il arriva qu'un officier de garde nationale d'une paroisse éloignée passoit par Couterne. Quelques bons citoiens, amis de la paix et du bon ordre, lui exposèrent le tumulte qu'il y avoit à l'église, le danger ou étoit exposé le sieur Le Petit, curé constitutionnel, installé depuis huit jours, le conjurèrent de secourir et défendre le curé et les citoiens amis de la loi, exposés au danger par la querelle qui leur étoit suscitée par lesdits sieurs Gallois, Lelandais, Riboult et Horeau et leurs partisans. Le désordre fut extrême : on entendoit dire à plusieurs assistans qu'il falloit chasser le sieur Petit, curé, et ses democrates. Le sieur Le Gallois, ancien curé ne cessoit de pérorer les assistans et d‘exciter le désordre parmi eux, disant qu'il persistoit à tout ce qu'il avoit dit, qu'il réclamoit le secours et protection de l'assemblée, ce qui échauffa tellement les esprits, qu'un citoïen qui s'étoit placé au côté du sieur Le Petit, curé, pour mettre obstacle aux voies de fait et insultes dont il étoit menacé, reçut un violent soufflet de la femme d'un habitant du bourg de Couterne. Ce soufflet étoit sans doute le signal et le prélude d'une catastrophe funeste, périlleuse pour le sieur Petit, curé constitutionnel puisqu'au même instant, toutes les femmes ainsi que partie des hommes se disposoient à faire sur lui la plus impétueuse irruption si un citoïen pacificateur, ami du bon ordre, n'eut fait au sieur Le Gallois et à ses adherens des représentations sensées et judicieuses, ne les eut sommés au nom de la loi de rentrer dans le devoir et n'eut à ce moien, en accompagnant le sieur Petit, facilité sa fuite qui le mit enfin à l'abri de tout outrage.
Tout perturbateur du repos public est très répréhensible ; mais un curé ancien, des ecclésiastiques, un ancien procureur de la commune, tels que les sieurs Gallois, Lelandais, Riboult et Horeau, sont encore plus répréhensibles que d'autres, quand ils se montrent perturbateurs, puisque par état ils doivent être les amis et les protecteurs de la paix et de l'ordre. Le délit dont ils se sont rendus coupables mérite donc toute l'animadversion de la justice [...]
Déposé au greffe criminel du tribunal de district de Domfront, ce vingt-sixième jour d'octobre mil sept cent quatre-vingt-onze.
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