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Les tensions au lendemain de la Libération

  • Usage pédagogique Usage pédagogique
  • Date du document : 20/08/1944
  • Référence : 56 Fi 417
  • Auteur(s) : Boucher
  • Lieu(x) : Argentan
  • Période(s) : De 1914 à nos jours

Présentation :

La photographie montre une pancarte clouée sur un arbre à Argentan ; elle appelle les lecteurs à la vigilance envers les collaborateurs et porte des accusations contre une vingtaine de personnes, dont elle donne les noms. Ce document met en évidence les tensions qui parcourent la société française à la Libération.

La photographie est prise le 20 août, le jour où précisément les Allemands quittent la ville après une longue semaine de combat. Ils laissent derrière eux une ville en ruine, une population éprouvée et une société fragilisée dont la soif de justice se confond parfois avec un désir de vengeance. Même si les résistants n’ont pas attendu la libération pour éliminer les collaborateurs les plus notables (voir les documents présentés dans ce chapitre), après le départ des Allemands, il reste des comptes à régler.

Le texte de l’affiche appelle ainsi à se débarrasser des « Boches français » et dénonce ceux qui ont opportunément retourné leur veste quand la victoire a changé de camp. Il invite à maintenir les suspects à l’écart, sans quoi « les accidentés ne seraient pas des Français », formule un peu obscure que l’on peut comprendre tout de même comme une menace. D’après la liste figurant à droite, on reproche aux personnes dénoncées diverses compromissions avec l’occupant : collaboration politique (« l’innocent du RNP »), relations amoureuses (« les nazis sont nos chéris », « la veuve joyeuse »), marché noir peut-être (« les vaches grasses »). Les incriminations ne sont pas très claires ; sans doute l’étaient-elles beaucoup plus pour les lecteurs argentanais qui comprenaient à demi-mot ce que nous ne pouvons plus aujourd'hui deviner.

Ce document révèle donc les tensions qui parcourent la société et nous renvoie à la question de l’épuration. L’épuration dite « sauvage », ou extra-judiciaire, a fait environ 10 000 victimes en France, pour la plupart avant le Débarquement. Dans l’Orne, on relève une quarantaine d’exécutions selon Gérard Bourdin ("De la collaboration à l’affaire Bernard Jardin", Le Pays Bas-Normand, n°241-242, 2001) : 16 avant le 6 juin, 23 de juillet à août 44. Il faut ajouter évidemment les femmes tondues, dont le nombre est difficile à établir avec exactitude, et puis les autres formes de représailles (injures, agressions, etc.) qui se sont manifestées contre les anciens collaborateurs, réels ou supposés. On comprend, à voir cette affiche, que les fractures sont profondes. Quoi qu’il en soit, l’épuration extrajudiciaire est restée plutôt modérée dans le département.

Ce sera ensuite le temps de l’épuration légale. Dès juin 44, sont créées des Cours spéciales de justice qui doivent juger les crimes les plus graves : délation ayant entraîné la mort ou la déportation, collaboration active avec les organes de répression allemands. Elles commencent à travailler en septembre et c’est ainsi la cour de justice de l’Orne qui jugera Bernard Jardin et le condamnera à mort en août 1946. Les cas moins graves sont examinés par les chambres civiques, qui peuvent prononcer des peines de dégradation civique.