Les Rajnglass : une famille clandestine à Saint-Ellier-les-Bois
-
Usage pédagogique
- Date du document : 14/08/1942
- Référence : 86W6
- Auteur(s) : gendarmerie nationale
- Lieu(x) : Saint-Ellier-les-Bois
- Période(s) : De 1914 à nos jours
Présentation :
Parmi les documents issus des fonds de la Préfecture, rares sont ceux qui permettent d’aborder directement le sujet de la résistance à la déportation : les activités clandestines, par définition, laissent peu de traces. Parfois cependant, une fenêtre s’ouvre dans les archives policières qui permet d'entrevoir cette clandestinité. C’est le cas du document présenté ici ; il s’agit du procès-verbal rédigé le 14 août 1942 par Yves Le Trocquer et André Plantin, deux gendarmes de la brigade de Carrouges, suite à leur visite à Saint-Ellier-les-Bois (le PV est disponible en intégralité au format pdf par le lien ci-dessus).
Les gendarmes ont été informés de l’arrivée dans le village d’une famille juive, les Rajnglass, qui n’a pas déclaré sa présence aux autorités. Le document présente donc l’audition de Szmul, le père de famille, né en 1898 en Pologne à « Piotekoff » (sans doute Piotrków Trybunalski) et de son épouse, Kajla (Brzostek) née à Varsovie en 1910. Le couple est accompagné de leur petit garçon, Adolphe, né à Paris en 1930.
On apprend ainsi que les Rajnglass se sont installés à Saint-Ellier-les-Bois le 1er août 1942 ; ils y louent une petite maison à Florestine Chevron, veuve et cultivatrice. Szmul affirme aux gendarmes qu’ils ont quitté Paris « pour soigner [sa] femme et [son] fils sur les prescriptions d’un docteur » le 16 juillet 1942, c'est-à-dire le premier jour de la rafle du Vel’ d’Hiv. C’est donc très probablement pour échapper aux arrestations, bien plus que pour des raisons de santé, qu’ils ont quitté leur domicile parisien. Szmul précise d’ailleurs qu’il n’a pas utilisé sa carte d’alimentation depuis le 25 juin « de peur d’être interné étant de nationalité juif polonais ». De même, Szmul et Kajla indiquent qu’ils ont oublié leur « insigne de juif » (l’infamante étoile jaune obligatoire depuis le 1er juin 1942).
Bien des aspects de cette histoire restent dans l’ombre : comment ont-ils été informés de l’imminence de la rafle ? pourquoi et comment sont-ils venus à Saint-Ellier-les-Bois ? pourquoi Florestine Chevron leur a-t-elle loué sa maison ? Qui a prévenu les gendarmes de leur présence ? On ne peut que formuler des hypothèses. Ce qui est certain cependant, c’est que les Rajnglass ont tenté d’échapper aux persécutions en quittant précipitamment la capitale - ils arrivent sans valise - et en dissimulant leur identité juive.
Dans les listes des engagés volontaires étrangers entre le 1er septembre 1939 et le 25 juin 1940, on retrouve Szmul, recruté dans l’armée polonaise à Paris sous le numéro de matricule 7515. Il avait donc rejoint les troupes polonaises en exil pour lutter contre les nazis. A-t-il combattu ? Quand et comment a-t-il été démobilisé ? Encore des questions sans réponse.
Quoi qu’il en soit, trois jours après le passage des gendarmes, les Rajnglass disparaissent comme en atteste un nouveau procès-verbal établi le 17 août (disponible ci-dessus au format pdf). La visite des gendarmes les aura sans doute convaincus qu’ils n’étaient plus en sécurité à Saint-Ellier-les-Bois et qu’il fallait de nouveau prendre la fuite. Ici encore, les questions sont nombreuses : les gendarmes leur avaient-ils laissé quelques jours de répit ? où sont-ils partis ? comment ?
Nous n’en savons rien. Nous n’avons trouvé aucune trace de Szmul, Kajla et Adolphe parmi les listes des victimes de la Shoah mises en ligne par le Mémorial de Washington ou par le Mémorial de Yad Vashem. On peut donc espérer – sans certitude cependant- que leur disparition le 17 août 1942 dans l’Orne leur aura permis d’échapper à la déportation.
Rajnglass 86W6 17-08-1942.pdf
Rajnglass 86W6 14-08-1942.pdf