La Ferté-Macé : la famille Strauss échappe à la déportation
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Usage pédagogique
- Date du document : 23/11/1943
- Référence : 86W3
- Auteur(s) : gendarmerie nationale
- Lieu(x) : La Ferté-Macé
- Période(s) : De 1914 à nos jours
Présentation :
Le document présenté ici permet d’éclairer de manière fugace deux stratégies mises en place par les juifs persécutés pour résister à la déportation. Il s’agit un rapport rédigé par deux membres de la brigade de gendarmerie de La Ferté Macé le 24 novembre 1943 au sujet de Simon Strauss, hospitalisé le matin même à l’âge de 71 ans.
Contextualisons : en octobre 1943, Jean Leguay, délégué à Paris de René Bousquet, secrétaire général de la Police de Vichy passe un accord avec Karl Oberg (Commandant de la SicherheitsPolizei, le plus souvent appelée gestapo) : la police française doit arrêter les Juifs français de Normandie pour les replier « vers l’intérieur ». En clair : il s’agit d’organiser une nouvelle rafle préalable à une déportation. Rappelons que Leguay et Bousquet avaient déjà négocié avec Oberg la rafle du Vélodrome d’Hiver en juillet 1942.
Le samedi 20 novembre, le préfet de la région de Rouen adresse aux préfets départementaux du Calvados, de l’Eure, de la Manche et de l’Orne un courrier pour les informer de cette décision. Les gendarmeries doivent procéder aux arrestations au plus tard le mercredi suivant (le 24 donc, date du document). Les personnes arrêtées dans l’Orne seront regroupées à Flers puis transférées en train à Paris via Caen ; elles seront ensuite internées au Château de Grignon à Orly (Val-de-Marne), un lieu de détention géré par l’Union Générale des Israélites de France (UGIF, organisme créé par Vichy en 1941).
En novembre 43, 82 Juifs français sont recensés dans l’Orne. Les services de la préfecture comptent en « évacuer » 49 (le terme « déportation » n’est pas utilisé dans les documents administratifs français ou allemands). Les documents conservés aux Archives départementales permettent de suivre la préparation minutieuse des opérations par les services de police français, appelés par le préfet à la plus grande discrétion. Pourtant, dans le train qui quitte Flers pour Paris en fin de journée le mercredi 24 novembre, il n’y a « que » 16 personnes. 16 de trop assurément, mais il reste que l’opération n’est pas un grand succès. Le rapport de gendarmerie présenté ici nous permet de comprendre pourquoi.
Il porte sur le cas de Simon Strauss (ou Strausz, selon les sources), âgé de 71 ans, installé à La Ferté-Macé, 8, rue du Château. Comme il le déclare aux gendarmes, le 24, à 8 heures du matin, il est hospitalisé en raison d’une « grave dépression cardiaque et grande dépression nerveuse » grâce à un certificat médical établi la veille par le docteur Vrasse (voir document au format pdf ci-dessus). Le rapport nous apprend par ailleurs que son épouse, Louise (née Ruff), est également hospitalisée. Or, les instructions données aux préfets stipulent que « les personnes malades peuvent être maintenues sur place à charge de fournir à bref délai un certificat médical. » Simon et Louise ne sont donc pas arrêtés.
Nous ne savons rien, évidemment, de l’état de santé réel de Simon et Louise Strauss mais la chronologie laisse peu de place au doute : malgré les consignes de discrétion, le projet d’arrestation était connu. Avec le soutien du Dr Vrasse, les Strauss ont donc pu échapper à la déportation.
Mais le document nous apprend que certains ont choisi une autre stratégie et ont pris la fuite avant la rafle. C’est le cas des deux filles du couple Strauss : Berthe, alors âgée de 36 ans, et Marguerite, 30 ans. Leur père Simon déclare aux gendarmes qu’elles ont « quitté furtivement notre domicile ce matin vers 6 heures pour une destination inconnue. »
On ne connaît pas la suite de l’histoire mais on sait qu’un an après, dans l’Orne enfin libérée des nazis, Simon, Louise et leurs deux filles habitent sains et saufs à La Ferté-Macé. On voit ici comment, grâce à des fuites dans l’administration policière ou préfectorale, la famille Strauss a échappé au pire, comme des dizaines d’autres juifs visés par cette rafle. Cette affaire illustre les nombreuses solidarités dont ont souvent pu bénéficier les Juifs persécutés, ce qui a permis « la survie de 75 % des Juifs de France » selon Cindy Biesse (Nouvelle Histoire de la Shoah, Passés Composés, Paris, 2021, p. 197). Mais n’oublions pas que si la rafle de novembre 43 ne fut pas pour les nazis et leurs auxiliaires français le succès espéré, 38 personnes ont tout de même été arrêtées en Normandie et déportées à Auschwitz. 3 seulement en reviendront.
La disparition de Marguerite Strauss 86W3.pdf
certificat médical du Dr Vrasse 86W3.pdf