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Les massacres de septembre 1792 dans l'Orne

  • Usage pédagogique Usage pédagogique
  • Date du document : 30/08/1795
  • Référence : (Arch. dép. Orne, L 5144)
  • Lieu(x) : Alençon
  • Période(s) : Révolution et Empire (1789-1815)

Présentation :

Les massacres de septembre 1792 et la première Terreur à travers l’étude de l'acte d’accusation dressé contre les assassins du moine capucin Valframbert

Ce document est l’acte d’accusation dressé en 1795, pendant la réaction thermidorienne, contre les assassins d’un moine réfractaire en septembre 1792. Il permet d’aborder le thème de la violence révolutionnaire pendant la « première Terreur » de l’été 1792 et plus particulièrement des massacres de septembre. Cette violence a traversé tout le royaume mais l’Orne a été particulièrement touchée par le phénomène.

L’acte d’accusation expose clairement les faits : le 6 septembre, Valframbert, « cy-devant » moine arrêté la veille, est assassiné après son procès par un groupe d’Alençonnais. Ses meurtriers considéraient que la justice avait été trop clémente en le condamnant à la déportation (le « jugement etoit trop doux »). Le moine est donc arraché au tribunal, traîné par les pieds jusque sur la place d’Armes (actuelle place du général de Gaulle) puis massacré à coups de pieds, de bâtons et de sabre. Enfin, « on lui trancha la tête » et on la promena dans les rues, plantée sur « un manche à ballet », jusqu’au soir à la lueur des flambeaux. L’acte d’accusation montre aussi que les protagonistes avaient l’intention de poursuivre le lendemain leur travail de justice expéditive.

Cet épisode s’inscrit dans un contexte qu’il faut restituer, à plusieurs niveaux.

D’abord, la France est en guerre depuis avril et la situation militaire est alarmante. En juillet, les armées prussiennes et autrichiennes entrent sur le territoire français ; le 11, l’Assemblée proclame la « Patrie en danger ». Le 22, elle vote une loi sur le complément de l’armée de ligne afin d’obtenir de nouveaux soldats. Partout, on procède à la levée de nouvelles recrues par tirage au sort. Dans l’Orne, comme dans beaucoup d’autres départements, ce recrutement est impopulaire ; il rappelle les mauvais souvenirs de l’enrôlement forcé dans la milice royale.  Certaines communes refusent de nommer des volontaires. Cette colère s’alimente aussi de rumeurs de complot aristocratiques. Les événements de la capitale font encore monter la tension. Le 10 août, les Parisiens s’emparent des Tuileries, le roi doit trouver refuge à l’Assemblée, la monarchie s’effondre. On a donc un contexte d’extrême confusion politique intérieure et de grand péril extérieur. Dans de nombreuses communes, les autorités dressent des listes de suspects à désarmer en urgence, voire à emprisonner.

L’inquiétude des populations et surtout le mécontentement des jeunes recrues se tournent contre les supposés « ennemis de l’intérieur », nobles ou prêtres réfractaires. Le 15 août, au Sap, un noble notoirement hostile à la Révolution est massacré ; un autre, le 16, à La Chapelle-Moche ; le 19, un autre encore à Pont-Ecrepin, noble et ecclésiastique, et le même jour à Bellême, un curé réfractaire. A chaque fois, les assassins sont les hommes appelés pour servir aux frontières. L’Orne se montre donc particulièrement violente et devance en quelque sorte les massacres de septembre.

Les événements d’Alençon s’inscrivent donc dans la continuité de cette violence ornaise. A la fin du mois d’août,  l’atmosphère en ville est particulièrement tendue. Le 23, la municipalité a dressé une liste des prêtres insermentés. Le 29, des visites domiciliaires sont réalisées pour contrôler les déclarations d’armes et désarmer tous les citoyens suspects, inscrits sur une liste « qu’on avait eu l’indiscrétion de publier hautement ». Enfin, le 4 août arrivent à Alençon deux commissaires de l’Assemblée législative, chargés de recruter au plus vite de nouveaux soldats. Ils organisent une réunion publique et font des discours sur la patrie en danger et les risques de trahison. La tension monte encore d’un cran. Les rumeurs se multiplient, qui racontent des tentatives de complot et de sabotage pour expliquer les échecs des armées. Enfin, on apprend les massacres commis à Paris contre les nobles et prêtres détenus dans les prisons. C’est alors que Valframbert est arrêté ; il est réfractaire et on le soupçonne d’exercer un culte clandestin. On aurait « trouvé trente-deux hosties sur lui » prétend la foule en colère.

Dès lors, le massacre du malheureux moine, comme ceux commis au mois d’août, doit être compris comme l’exercice d’une justice populaire immédiate contre les "ennemis de la Révolution". Les assassins sont des appelés, on leur demande de défendre la patrie, ils commencent donc par éliminer les dangers de l’intérieur : « nous ne voulons rien laisser [derrière nous] qui inquiète nos femmes ». C’est ainsi également qu’il faut comprendre les propos de Marie Biot à l’adresse d’une femme qui regrettait le sort du moine : « Tiens ! sûrement que tu n’as personne sur les frontières ». D’autres sources rapportent que dans la foule des cris de joie « Vive la nation » accompagnaient le massacre. C’est la même logique qui, selon Timothy Tackett, anime les septembriseurs parisiens.

Dans le département, les violences se poursuivent : meurtre d’un moine réfractaire le 9 septembre à L’Aigle, le même jour quatre curés réfractaires en route pour l’Angleterre sont arrêtés et assassinés à Gacé, un autre encore le 10 à Vimoutiers. Les responsables sont toujours des recrues pour les frontières et, comme à Alençon et à Paris, ils invoquent pour expliquer leurs actes la nécessaire élimination des ennemis de l’intérieur avant d’aller combattre les ennemis extérieurs.

A Alençon, une partie des assassins sera jugée en août 1795, pendant la réaction thermidorienne : trois femmes sont acquittées, une autre condamnée à trois mois de prison, une autre encore condamnée à mort et exécutée. Les principaux responsables cependant sont jugés et condamnés par contumace car ils sont « aux armées ».

Ce document met en évidence plusieurs caractéristiques importantes de la période. D’abord, il illustre le rôle des rumeurs et des émotions populaires dans le déroulement de la Révolution. Comme à Paris, chauffée à blanc par les bruits de complot, la foule bascule dans l’émeute et rien ne peut l’arrêter. Transgressive par nature, cette émeute révolutionnaire présente aussi un caractère festif. Ensuite, le rapport permet de comprendre les motivations des massacres ; ils ne sont pas un surgissement subit et incompréhensible de la barbarie populaire mais plutôt l’expression d’une justice, certes expéditive et cruelle, contre les ennemis. Comme souvent, la guerre et la menace d’effondrement du pays ont précipité la violence intestine.

Pour aller plus loin :

Gérard Bourdin, « La décennie révolutionnaire dans l’Orne. 1789-1799 », Mutations et permanences. L’Orne et la Révolution, Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, CVIII, 4, 1989, pp. 99-122.
Jean-Claude Martin, « La Révolution et l’Empire », L’Orne de la Préhistoire à nos jours, Ed. JM Bordessoules, Saint-Jean d’Angély, 1999, pp. 208-240.
Paul Nicolle, « Les meurtres politiques d’août et septembre 1792 dans le département de l’Orne », Annales historiques de la Révolution française, 62-63, 1934.
Timothy Tackett, « Septembre 1792. De la rumeur au massacre », L’histoire, 458, avril 2019, pp. 58-65. 

Transcription :

L'accusateur public prèz le tribunal criminel du département de l'Orne [...]

Déclare que, de l'examen desdites pièces, il résulte que Charles-Jean-Louis Valframbert, prêtre, cy-devant religieux capucin, ayant été arrêté le 5 septembre mil sept-cents quatre-vingt-douze, au fauxbourg Montsort, en la commune d'Alençon, et conduit à la municipalité d'icelle commune, pour y rendre compte de sa conduite, comme prévenu d‘incivisme, il se forma dans la chambre commune de ladite municipalité, au moment où il y prêta l'interrogatoire, notamment le lendemain 6 dudit mois de septembre mil sept-cent quatre-vingt-douze, sur les trois heures aprèz midi, un rassemblement si considérable et si tumultueux de personnes de l‘un et de l’autre sexe, qui, en la majeure partie, manifestèrent le désir et la volonté de décider elles-mêmes du sort dudit Valframbert ; que tout s'y passa dans le plus grand désordre, sans qu'il fut possible de résister à la malveillance, dont ledit Valframbert s'est malheureusement trouvé la victime.

Qu'en effet, à peine le jugement prononcé contre lui et par lequel on le condamnoit en trois jours de détention, pour, aprèz ce délay, être conduit de brigade en brigade au port de mer le plus voisin, pour être déporté à la Guyanne française, fut-il rendu, qu'aussitôt on entendit s’élever différentes voix qui toutes annoncèrent le désir manifeste et la volonté bien décidée de trancher le fil de ses jours, disant hautement, les uns que ce jugement étoit trop doux ; d'autres, qu'il ne leur convenoit pas, et tous enfin qu'ils vouloient sa tête ; qu'à ces cris menaçants et redoublés les uns sur les autres, ledit Valframbert, déjà nue-tête, par l'enlèvement de son chapeau et de sa perruque, qui furent jettés par la fenêtre de ladite chambre commune, frappé de terreur, et pour se soustraire, s'il étoit possible, à la fureur du peuple qui l'environnoit, se cacha sous la table prez de laquelle il étoit ; mais qu’aussitôt on se saisit de sa personne, en le retirant de dessous cette table par les pieds, et, l'enlevant et traînant ainsy de ladite chambre et du haut au bas de l'escalier, sa tête tombant sur chaque marche d'iceluy, jusques sur la Place d'armes ; qu'arrivé sur cette place et entouré de quantité de personnes de l'un et de l'autre sexe, plusieurs se jettèrent sur lui et l’assassinèrent, les uns à coups de pied, d'autres à coups de bâton et d'autres à coups de sabre, poussant même la cruauté au point de tenter de le scier dans plusieurs parties de son corps avec un sabre, sous prétexte que ce sabre n'étoit pas assez tranchant, et pour sans doute le faire souffrir davantage.

Qu’enfin, aprez lui avoir ôté la vie, on lui trancha la tête, et ses assassins, triomphants de leur propre cruauté, promenèrent cette tête pointée au bout d'un manche à ballet (sic), et éclairée par des flambeaux dans une partie des rues de cette commune, avec le projet de recommencer pareille scène le lendemain, mais nouvelle scène qui, heureusement, n'eut pas lieu par la sage précaution de l'avertissement qui en fut donné à propos à ceux qui se trouvoient couchés sur la liste de proscription qu'on avoit eu l'indiscrétion de publier hautement [...]

Que Quillet, tailleur, étoit encore du nombre de ceux qui ont demandé la tête dudit Valframbert, l’ont maltraité et l'ont assassiné ; et que même il s'est fait une gloire de s'en vanter et de manifester le projet existant entre luy et ses associés de recommencer le lendemain, ayant dit à quelqu'un, le jour même dudit assassinat : "Eh bien... ! N'avons-nous pas bien travaillé ? Il n’étoit pas plus fort que rien ; il ne lui falloit qu'un petit coup ; nous avons une liste ; demain nous travaillerons le reste ; nous ne voulons rien laisser qui inquiète nos femmes [...] »

Que Marie Biot, épouze de Louis Poupard, fripier, y a également participé ; d'abord, on l'a vue et entendue dans la chambre commune, au moment du jugement dudit Valframbert, dire tout haut que ce n 'etoit pas là un jugement, qu'il falloit sa tête ; on l'a vue et entendue sur la Place d'armes, au moment du massacre dudit Valframbert, chercher querelle à une autre femme, qui, tranquille et plaignant le sort du malheureux Valframbert, en gémissoit et lui dire : "Tiens ! sûrement que tu n'as personne sur les frontières", ajoutant : "Elles sont un tas de garces qui prennent le parti de ces gens-là" ; et levant même le bras pour la frapper ; ce à quoi elle ne put parvenir ; cette femme l'ayant évitée par la fuite. On l'a vue et entendue dire que ledit Valframbert étoit un gueux, et qu'il avoit été arrêté parce qu'il avoit le bon Dieu dans ses poches, enfermé dans une boëte. On l'a vue et entendue répondre, en passant, à différentes personnes qui, le soir dudit assassinat, demandoient ce qu'il y avoit eu sur la Place d'armes : "C'est le jean foutre de capucin qu'on juge ; on lui a trouvé trente-deux hosties sur lui." On l'a vue et entendue, le même soir, dire, parlant de la mort du capucin : "Voilà les plus beaux coups rués !" On l'a vue même, ce même soir, en passant, insulter des personnes honnêtes, tranquilles à leur porte, leur disant d'un ton furieux et colère : "Foutre ! rentre chez toi ; il est temps ! " Enfin, le lendemain dudit assassinat, sur les huit heures du matin, on l'a vue et entendue disant hautement à l'un de ses voisins : "Eh bien ! Eh bien, voisin, foutre, ç'a bien été hier ? Le sacré bougre de capucin a dansé ! Avons-nous bien travaillé, voisin ? Il faut qu'il y en ait d'autres aujourd’hui et sacredié, ça ira !" Sur quoi, ce voisin lui ayant répondu qu'il étoit désolé de cet évènement-la, que cela deshonoroit leur ville où le sang n'avoit pas encore coulé, et qu'il ne falloit pas renouveller cette scène, elle reprit la parole, disant : "Foutre ! il faut qu'il en coule ! et dans cette rue, aujourd'huy à dix heures, les têtes vont tomber !". Ce même voisin l'ayant exhortée à être plus tranquille, aussitôt elle lui répliqua avec emportement ! "Deux de cette ville vont avoir la tête coupée !"."Qui ?" reprit le voisin "votre plus proche voisin à gauche lui répondit-elle, en montrant Botte, et le sacré aristocrate de Marescot, qui demeure devant la guillotine. La tête du capucin a été portée hyer en triomphe ; nous allons en porter d'autres aujourd'huy, et celles des deux bougres que je viens de nommer" [...]

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