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La résistance des instituteurs et institutrices du secteur d'Alençon

  • Usage pédagogique Usage pédagogique
  • Date du document : 05/03/1945
  • Référence : 1677W1
  • Auteur(s) : auteur inconnu
  • Lieu(x) : Alençon
  • Période(s) : De 1914 à nos jours

Présentation :

Le 1er mars 1945, le Rectorat de Caen relaie auprès de l’inspecteur d’Académie de l’Orne une demande du ministère de l’Education Nationale qui souhaite recenser les « activités dans la résistance pour tous degrés [des] enseignements publics et privés » (Lettre du Recteur d’Académie à l’Inspecteur d’Académie de l’Orne, 1er mars 1945, 1677W1). L’Inspecteur d’Académie, R. Morel, transmet alors cette demande aux inspecteurs du 1er degré et aux établissements du département ; nous présentons ici la réponse envoyée par l’inspectrice du secteur d’Alençon. Une partie des informations de ce document figure déjà dans le rapport de l’Inspecteur académique étudié plus haut mais il nous a paru intéressant de le présenter dans son intégralité, disponible au format pdf par le lien ci-dessus. Une transcription du texte est également disponible ci-dessous.

Notons d’abord que, comme l’Inspectrice le précise elle-même, le rapport n’est sans doute pas complet ; elle a dû répondre dans l’urgence à la demande de son administration et n’a donc pas eu le temps de rassembler toutes les informations. De plus, certaines personnes n’ont pas forcément cherché à faire connaître leur engagement auprès de leur hiérarchie.

Quoi qu’il en soit, même incomplet, le rapport illustre clairement l’importance de l’engagement des Instituteurs du secteur. D’après l’Inspectrice, l’immense majorité d’entre eux (« 98 % », dit-elle) était hostile à l’occupation. Cette hostilité, largement partagée par l’opinion publique en général, est alimentée bien sûr par le refus patriotique de la présence de troupes étrangères, mais elle se nourrit aussi, pour de nombreux enseignants, d’un rejet idéologique viscéral du nazisme et de l’idéologie de Vichy, en complète opposition avec les valeurs de la République auxquels ils sont pour la plupart profondément attachés.

Le rapport montre la diversité des formes d’engagement. Ce sont parfois de « petits » gestes, dangereux néanmoins : écouter Radio-Londres, travailler « au maintien du moral de la population » en tenant des propos hostiles au régime ou aux Allemands ou donner du pain à des prisonniers. Par ailleurs, dans les communes rurales, il n’était pas rare que les instituteurs soient secrétaires de mairie, ce qui leur offrait des opportunités pour fabriquer de faux-papiers, détourner des tickets de rationnement, obtenir des informations utiles aux réseaux, etc. (voir le dernier paragraphe du courrier). D’autres ont aidé à cacher des réfractaires au STO, ou se sont engagés dans les réseaux, ce qui les a conduits à mener des missions d’agents de liaison, organiser la réception de parachutages, voire mener des actions armées lors des combats de l’été 44. Certains se sont ainsi retrouvés à la tête de groupes locaux ou de maquis.

Le rapport cite 18 personnes engagées de différentes manières dans des actions de résistance. On peut relever parmi eux les noms d’Almire Viel, Jean Mazeline Maurice Vernimmen ou Raymond Lefèvre, qui furent des cadres importants de la Résistance dans le département. D’autres documents sont disponibles aux Archives pour étudier leur rôle.

Transcription :

J’ai l’honneur de vous adresser quelques renseignements sur l’activité des Instituteurs et des Institutrices dans la résistance. Etant donné l’urgence et l’impossibilité de fournir une enquête précise, il est probable que ce rapport sera très incomplet.

A part quelques maîtres – ouvertement partisans de la collaboration ou hésitants – tout le personnel de la circonscription (98 %) était nettement anti-allemand, écoutait chaque jour la radio française de Londres, propageait ses consignes avec plus ou moins de précautions et travaillait efficacement au maintien du moral de la population. La plupart des maîtres ne cachaient pas leurs sentiments et bien souvent j’ai dû conseiller la prudence.

Beaucoup d’Instituteurs étaient enrôlés dans les organisations de résistance. L’Inspection académique possède la liste des requis qui se camouflèrent plutôt que de partir en Allemagne et plusieurs prirent le maquis.

Mazeline Jean de Sées a été parmi les plus actifs (dans la dernière période surtout). Il a rempli de nombreuses missions, a été arrêté et fusillé.

Laurent Jean de St-Sauveur [de Carrouges] a tenu le maquis pendant une longue période, dans la Creuse puis dans la région de Carrouges, il a été pris et fusillé.

Lefèvre de Chailloué a organisé des parachutages et des dépôts d’armes, il montrait une audace souvent imprudente. Il a été arrêté, emprisonné, déporté mais je crois qu’aucune charge sérieuse contre lui n’avait été découverte.

Le Roux Roger de Carrouges comme secrétaire de mairie et comme membre d’une organisation de résistance s’est dépensé sans compter. Informé en juin 1944 qu’il allait être arrêté, il a quitté précipitamment Carrouges pour Paris où il a d’ailleurs continué son activité. Son retour imprudent au début d’août a failli lui être fatal. Son audace et son sang-froid lui ont permis d’éviter l’arrestation.

Gérault André de La Lacelle appartenait aux FFI, informé en mai 1944 par une complicité dans le service des postes que son rôle était dénoncé, il m’informa, prétexta un voyage urgent et disparut avec sa femme et son fils. Son camarade Gourrinat Jean de Ciral partit aussi avec sa femme. Tous deux combattirent au moment de la libération dans les groupes armées de la Mayenne. Gérault est maintenant engagé. Gourrinat partit au front en août avec les troupes américaines et rentra à son poste fin septembre.

M. Viel professeur à l’E.P.S. [Ecole Primaire Supérieure] de La Ferté, mis à la retraite d’office en 1940, n’était plus dans mon service. Je rappelle qu’il a organisé la résistance dans sa région et a combattu dans un groupe. Sa femme et sa fille sont déportées.

Vernimmen, de Tanville, capitaine dans les FFI, était à la tête d’un groupe dans la forêt d’Ecouves, il a participé à des parachutages et à de nombreux coups de mains contre les convois ennemis.

Crenn Théophile d’Alençon a joué un rôle efficace en Bretagne pour le recrutement d’un groupe de FFI et a participé à quelques combats.

Cotard d’Aunay-les-Bois était un des plus sérieux et des plus dévoués parmi les dirigeants de la résistance mais, au moment de la libération, des maladresses et des excès de son groupe l’obligèrent à s’effacer.

Lechat de Gandelain, lieutenant dans les FFI est engagé.

Peigné Jacques de Sées a dû jouer un rôle important avant la libération, mais il est très discret et je n’ai pas de renseignements.

Alliart Roger de Bellavilliers a été parmi les plus ardents et les plus résolus organisateurs de la résistance dans la région de Mortagne.

Bouvet de St-Céneri a par suite d’une dénonciation été arrêté et déporté. A deux reprises, sa maison a été perquisitionnée mais sa famille ignore s’il y a contre lui des charges sérieuses.

Mme Vernimmen de Tanville (maintenant à S-Germain) a été arrêtée en juin 1944, interrogée, torturée, mais elle n’a rien révélé de l’activité du groupe de Tanville.

Mlle [P]ousset de St Hilaire-la-G[érard] arrêtée à la suite d’une descente de parachutistes a été emprisonnée pendant quelques jours.

Mlle Taphanel de Ménil-Erreux a été arrêtée et emprisonnée pendant une douzaine de jours pour avoir distribué du pain à des prisonniers canadiens.

Mlle Terrier de Godisson a été arrêtée au début d’Août pour avoir délivré une fausse carte à un requis, l’arrivée des troupes américaines lui a apporté la liberté.

Tous ses collègues, secrétaires de mairie, ont comme elle, maintes fois risqué l’arrestation et beaucoup d’Instituteurs et d’Institutrices restés discrets ont, dans l’ombre, non sans danger, déployé une activité courageuse et adroite pour procurer des tickets aux réfractaires du STO, pour leur fournir des pièces d’identité, pour aider à les cacher, pour fausser les renseignements destinés aux autorités allemandes, pour gêner les collectes et les réquisitions, pour éviter aux habitants des sanctions. M. Besnier, M. Cotard, M. Gérault, M. Le Roux et d’autres pourraient donner des précisions sur les stratagèmes imaginés pour tromper les autorités d’occupation. M. Besnier pourrait dire, par exemple, comment, sous la menace du revolver, il avait dû accompagner les Allemands dans des fermes où étaient cachés des réfractaires et comment il avait réussi à les faire prévenir à temps.

 

[Signature illisible]

  • Les instituteurs résistants du secteur d'Alençon 5-03-45 (1677W1).pdf

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