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La purge du corps enseignant ornais : le cas de l'instituteur Bunout

  • Usage pédagogique Usage pédagogique
  • Date du document : 14/12/1940
  • Référence : 2 W 11
  • Auteur(s) : Mollard
  • Lieu(x) : Alençon , Moulins-la-Marche
  • Période(s) : De 1914 à nos jours

Présentation :

Le document présenté ici est extrait d’un rapport de l’Inspecteur d’Académie de l’Orne, M. Mollard, adressé le 14 décembre 1940 au préfet Georges Bernard. Le 6 décembre, le préfet lui a transmis un courrier du « délégué général du gouvernement français auprès des autorités d’occupation » (une sorte d’ambassadeur de Vichy à Paris), le général de La Laurencie, qui reproche à l’administration de l’Instruction publique d’avoir pris des mesures « inefficaces et irrationnelles » contre les personnels d’enseignement considérés comme suspects. Selon le général, la purge n’a pas été assez forte. L’Inspecteur exprime clairement son désaccord avec ce jugement, d’autant plus librement peut-être que de La Laurencie a été démis de ses fonctions la veille, remplacé par de Brinon après le renvoi de Laval et de ses collaborateurs. Après cette mise au point, l’inspecteur expose au préfet les cas des trois instituteurs qui ont subi des sanctions disciplinaires à l’automne 1940. L’intégralité du document est disponible au format pdf par le lien ci-dessus.

On a déjà évoqué dans les documents précédents le projet de Pétain pour l’éducation nationale : selon lui, l’école républicaine a affaibli la nation. Dès lors, pour que l’école devienne un lieu de restauration de la nation, on doit en déloger les « mauvais maîtres ». Georges Ripert, ministre de l’Instruction publique du 6 septembre au 13 décembre 1940 est explicite : il faut « nettoyer l’enseignement primaire. »

La première vague de purge se déploie dès juillet 1940 et aboutit à la révocation d’un millier d’instituteurs trop ouvertement engagés dans des organisations politiques de gauche. Le 13 août 1940, le décret contre les « associations secrètes », visant la Franc-Maçonnerie, entraîne une nouvelle vague de révocations. Puis, le 3 octobre, le premier « statut » des Juifs entraîne leur révocation de la fonction publique donc de l’enseignement.

Le cas de l’instituteur Bunout évoqué par l’Inspecteur d’Académie est assez caractéristique de cette volonté d’épuration. On lui reproche d’avoir été dans le canton de Moulins-la-Marche le secrétaire d’un comité Paix et Liberté, mouvement pacifiste des années 1930 proche du Parti communiste. Les maîtres d’école étaient en effet nombreux à militer pour la cause pacifiste dans l’entre-deux-guerres. Le puissant SNI (Syndicat national des Instituteurs, créé en 1920), principal syndicat de la profession, entretenait ces idées, largement partagées d’ailleurs par l’opinion publique. Rien d’étonnant donc à ce qu’un instituteur de l’Orne ait fait partie d’un tel comité. Mais selon Vichy, il a ainsi contribué à diffuser ces idées responsables de la défaite. Par ailleurs, le rapport de l’inspecteur semble indiquer que Bunout est aussi une victime de l’atmosphère nauséabonde propice aux règlements de compte qui caractérise la France des années noires : c’est le maire de Moulins qui a dénoncé l’instituteur à l’Inspecteur et lui a rapporté des rumeurs selon lequel il était un agent communiste.

L’inspecteur ne semble pas accorder beaucoup de crédit à ces accusations. Il souligne au contraire qu’il a reçu une pétition des habitants de Moulins en soutien à l’instituteur. Cependant, il décide tout de même de le sanctionner par un déplacement d’office. Cette décision plutôt modérée peut s’expliquer par deux motifs au moins. D’abord, l’inspecteur considère que les faits reprochés ne sont pas si graves, d’autant plus que Bunout dément toute sympathie pour les communistes. Ensuite, il doit tenir compte du fait que les ressources humaines disponibles sont assez rares. De nombreux instituteurs en effet sont prisonniers en Allemagne ; dès lors, si l’on révoque tous ceux qui se sont engagés à gauche, on risque vite de manquer de personnel.

Ce document montre que, dans l’Orne, l’épuration menée par Vichy contre le corps enseignant est restée assez modérée, sans doute parce que l’engagement politique des maîtres ornais était également assez modérée. Mais il révèle malgré tout la volonté de revanche des conservateurs vichystes qui considèrent que les instituteurs sont en partie responsables de la défaite.

  • Les 3 instituteurs déplacés en 1940 (2W11).pdf

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