Lettre de Lilli à Albert Meyer, 24 et 25 mai 1942
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Usage pédagogique
- Date du document : 25/05/1942
- Référence : Archives du Mémorial de Yad Vashem (Israël)
- Auteur(s) : Germaine Lilli Meyer
- Lieu(x) : Alençon , Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne)
- Période(s) : De 1914 à nos jours
Présentation :
Alfred Meyer est arrêté le 16 janvier 41 pour avoir tenu des propos hostiles à Hitler, puis incarcéré à Caen pendant une année. En janvier 42, il est transféré dans la prison militaire de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Jusqu’à son arrestation en novembre 1942, Lilli entretient une correspondance abondante avec son époux, son « schatzele » (son chéri) comme elle l’appelle dans ses courriers. Plus d’une centaine de lettres sont ainsi conservées par le Mémorial de Yad Vashem. Celle qui est présentée ici est écrite les 24 et 25 mai 1942 (on en trouvera une transcription ci-dessous et le document intégral peut être téléchargé en pdf par le lien ci-dessus). Albert est alors à Villeneuve-Saint-Georges.
Ces courriers, simples et émouvants, racontent la vie quotidienne d’une famille juive à Alençon sous l’Occupation, entre l’ordinaire de la vie quotidienne et l’horreur des persécutions raciales. Lilli se démène pour envoyer régulièrement à Albert de petits colis : produits alimentaires, lames de rasoir, poudre anti-poux, vêtements… Le contenu des colis est toujours détaillé dans les courriers, pour qu’Albert puisse vérifier qu’il a bien tout reçu ; les vols étaient fréquents.
Lilli s’efforce de distraire Albert de son existence monotone de prisonnier. Elle lui raconte les petites choses de sa vie : les visites (nombreuses) des voisins et des amis, les fêtes religieuses, l’avancement du potager, les leçons de piano données à Edith, les baignades à la piscine en été, les promenades, les recherches pour trouver tous ces produits que la guerre a rendu rares et chers : la viande, les fruits, les chaussures de qualité. Ici, elle parle du film qu’elle est allée voir avec son amie Mme Soulier : Rhapsodie d’amour, un film consacré à la vie du pianiste et compositeur Franz Liszt, auquel, en tant que pianiste, elle est particulièrement sensible. Elle évoque aussi les persécutions (le port de l’étoile, la restriction des heures de sorties) et évidemment les arrestations à partir de juillet 42.
Elle ne manque jamais de donner des nouvelles des amis et de la famille : ceux d’Alençon, ceux de Lavelanet (Liesel, Edgard et Béatrice), ceux de Bellegarde, près d’Albi (Alfred, Rosa et Berthie), ceux de Lyon (Hertha, Siegmund et leurs trois garçons) l’oncle Mirthil et la tante Flora de Paris, et bien d’autres encore. Dans ce courrier des 24-25 mai, Lilli évoque la santé de Mme Destève, l’épouse du chiffonnier qui a vendu son affaire à Alfred Kahn en 1935. Parfois, Gustel, Edith, Rudolph ou ici, Ida Kahn, sa belle-mère, ajoutent un petit mot sur la carte, toujours très chaleureux.
Les lettres de Lilli pour Albert sont toujours très tendres. Elle ne cesse de lui répéter qu’elle l’aime, qu’il lui manque et qu’elle attend avec toujours plus d’impatience le moment où ils seront enfin réunis. Cependant, elle reste toujours très pudique ; sans doute parce que tel est son caractère, sans doute parce que l’époque était ainsi, mais certainement aussi parce que, comme elle l’écrit à plusieurs reprises, ses lettres sont lues par l’administration pénitentiaire. Certaines sont d’ailleurs censurées.
Transcription :
Dimanche, le 24 mai 1942,
Mon chéri,
Pour te donner de nouveau de mes nouvelles, je veux t’écrire ce soir pour te dire que je suis en bonne forme ainsi que toute la famille. Et toi, mon chéri, comment vas-tu ? J’espère que tu te portes toujours bien, et que le moral est toujours le même.
J’ose croire que tu es rentré en possession du colis que j’ai expédié comme d’habitude mardi dernier.
Nous avions une lettre de Paris dans laquelle la tante a écrit que l’oncle n’a pas pu te donner le pain samedi dernier. On le lui a redonné en disant que tu as eu un colis dans la semaine. L’oncle était bien à Villeneuve le 9 mai mais on n’avait pas accepté le linge, en lui disant de revenir la semaine d’après.
Pour le parloir, j’ai eu l’autorisation des jours et je me mettrai en route à la fin de la semaine pour venir te voir mon Schatzi. La préfecture me délivrera une autorisation spéciale pour le voyage, et comme cela je serai tout à fait en règle je serai plus tranquille.
Pour la saccharine, je t’avais écrit une fois qu’on n’en trouve plus, même on ne peut pas l’acheter avec les tiquets.
Mme Destève est toujours à la clinique, après la lettre du médecin elle va mieux, après la sienne ça ne va pas du tout. Elle dit qu’elle a encore mal au foie, et qu’on lui fait des piquures pour cela. De mon avis, les piquures sont faites pour ses nerfs. Elle s’ennuie terriblement et dit que l’ennui l’empêche de guérir. Elle supplie son mari de venir la chercher. Pour les jours de fêtes, le fils est allé la voir. Je suis curieuse ce qu’il va raconter en revenant.
Ici à la maison rien n’a changé, tout est resté comme c’était jusqu’à présent. Ne te fais pas de mauvais sang pour rien. Les jours s’écoulent l’un après l’autre et ne se ressemblent pas quand même. Les légumes ne poussent pas dans le jardin, c’est désolant. Mais tout le monde s’en plaint. Nous avons des petits pois qui sont en fleurs, et qui ne sont pas haut du tout. Rien à faire.
Le 19 Edith a eu ses 15 ans, c’est une grande fille mince. Je lui ai acheté une paire de chaussures à semelles de bois, mais couverte pour l’hiver en même temps j’en ai acheté une paire pour moi. Berthold lui a offert un cahier de musique moderne, valses tangos, etc. Elle a fait beaucoup de progrès sur le piano, je suis fière de mon élève, mais elle est tenace et fait beaucoup d’exercices. Ca arrive que je lui donne des leçons de loin ça veut dire, elle au piano, et moi dans la petite pièce à côté. Quand elle joue une fausse note, je le lui crie à travers la porte, et elle corrige. C’est amusant, tu ne trouves pas.
Aujourd'hui, Herta a son anniversaire 36 ans. Alfred a écrit l’autre jour, « on se fait vieux », il en a maintenant 38 ans. Et combien de temps encore cette misère ? Des fois, je désespère. Béatrice va à l’école maintenant et s’y plait beaucoup. Je peux bien me figurer comme elle trotte les 1500 mtr avec les autres camarades pour aller en classe. C’est loin, de faire ce chemin et encore 4 fois par jour pour une petite fille comme elle.
J’ai passé l’après-midi avec Mme Soulier. Mr Soulier avec son fils étaient partis au courses de vélos* et comme ça ne l’intéresse pas, nous sommes allés au cinéma à 5 h. Rhapsodie d’amour (La vie de Liszt) un film musical, et qui ne plaît pas à tout le monde. Naturellement pour moi c’était beau.
Pour ce soir je termine car comme d’habitude il est tard. Bonne nuit mon Schatzi, dors bien et rêve de ta femme. Je t’embrasse bien tendrement et bientôt en réalité.
Ton Maidel
25 mai, J’ai attendu ce matin le courrier pour te raconter des nouvelles mais malheureusement le facteur a passé par chez nous sans rien nous apporter. C’est dommage car ca arrive pas souvent le lundi. J’ai encore oublié de te raconter que Berthold était invité chez ses patrons pour la première communion de leur fils qui a eu lieu hier aussi ; Il est parti le matin à 9 heures pour aller à la messe avec eux, et est rentré aujourd'hui pour le déjeuner. Mais à ce moment là ils avaient déjà fait la moitié de leur travail. Ils ont fêté jusqu’à 5 h du matin lors qu’il est venu pour changer ses habits pour retourner travailler. Comme ils n’ont pas pu nous inviter tous, ils nous ont envoyé une brioche. Ils sont vraiment très gentils. Quand je viendrai te voir, je t’apporterai également de bonnes choses.
Le saucisson que je t’ai envoyé il y a 3 semaines à peu près était il encore bon ? Après ma visite je changerai le jour de l’envoi du colis. Pour cette semaine je l’ai préparé, il va partir demain comme d’habitude avec le même courrier que cette lettre. Contenu : sous-vêtements, pain, fromage, saucisson, sucre, macaroni.
Au revoir mon Schatzi, à bientôt je t’envoie mille gros baisers,
Ta Lilli.
* Paris-Alençon
[En marge de la 2e page :] Bien des choses, reste en bonne santé. Je t’embrasse bien fort ta mère [c'est-à-dire Ida Kahn, sa belle-mère].
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