Le député Duboë justifie son vote au procès de Louis XVI
-
Usage pédagogique
- Date du document : 03/02/1793
- Référence : (Arch. dép. Orne, L 430)
- Auteur(s) : Pierre-François Duboë
- Période(s) : Révolution et Empire (1789-1815)
Présentation :
Pierre-François Duboë (né en 1749, mort après 1815) ne fait pas partie des députés de la Convention qui, entre le 15 et le 17 janvier 1793 votèrent la mort du roi. Il préféra la clémence et s’en explique dans ce courrier adressé à ses électeurs du canton de Gacé. Il est alors conventionnel depuis quelques mois seulement, élu en septembre 1792. Il se trouve confronté avec ses collègues à la lourde tâche de refonder la constitution après la destitution du roi et l’institution de fait de la République. Auparavant, ainsi qu’il le rappelle lui-même, il était juge au tribunal de district de l’Aigle depuis 1791. Ce n’est pas du tout un habitué des assemblées parisiennes ; il était notaire à Gacé depuis 1776.
En se tournant ainsi vers ses mandants pour leur rendre compte de ses décisions, Duboë se comporte de manière tout à fait ordinaire pour les députés de l’époque. Cependant, il le souligne, l’occasion est très particulière : juger le roi est « l’acte le plus important auquel un représentant de la nation puisse concourir. »
On sait que, avant le procès, les conventionnels ont beaucoup débattu de son opportunité. Pendant le procès, ils ont aussi beaucoup débattu de la sentence à prononcer. Les monarchistes sont très minoritaires, la Plaine observe. Le débat se joue donc essentiellement entre Jacobins. Les Montagnards, avec Saint-Just et Robespierre, considèrent que le roi doit mourir tout simplement parce que son existence même constitue une atteinte aux principes de l’égalité républicaine. « Louis doit mourir pour que la nation vive » déclare Robespierre le 3 décembre. Il estime que le procès a déjà eu lieu le 10 août 1792 : l’insurrection du peuple signifie la culpabilité du roi. Pour les Montagnards, la mort du roi sera donc un sacrifice fondateur d’une ère nouvelle et un engagement définitif dans la République. Les Girondins, quant à eux, sont plus hésitants. Ils craignent que la mort du roi n’entraîne une course en avant dans la violence révolutionnaire et ne renforce la coalition ennemie. Ils souhaitent donc l’épargner et proposent un dispositif juridique qui, espèrent-ils, aboutira à une sentence de clémence : l’assemblée jugera le roi puis le peuple devra ratifier la décision prise par l’assemblée. Duboë fait partie de ceux qui soutiennent cette proposition. Il s’en explique dans le livret exposant les « Motifs des opinions que j'ai émises à la tribune de la Convention Nationale » joint à son courrier. Mais ce principe, dit de « l’appel au peuple », est refusé. Considéré comme une manœuvre dilatoire, il fait peser sur ses partisans le soupçon de monarchisme. Par extension, tout appel à la clémence devient suspect. Au-delà donc du sort du roi, c’est le problème plus vaste de l’avenir de la révolution qui se pose au procès : faut-il poursuivre plus loin encore le processus révolutionnaire ou le modérer et choisir les compromis ?
Dans ce débat très vif, et dans l’atmosphère générale très tendue de cet hiver 1793, Duboë cherche difficilement une voie moyenne. Comme il l’explique par ailleurs dans le livret joint à son courrier, il n’était pas favorable à ce que la Convention jugeât le roi. En janvier, il n’a pas voté pour la mort de Louis et reprend à son compte les arguments montagnards : l’exécution du roi va prolonger la guerre, donc faire couler encore le « sang des citoyens » et grever le « trésor public ». Il demande donc la réclusion tant que dure la guerre puis le bannissement en ajoutant, lors du vote : « Si, au mépris de cette générosité, les puissances étrangères tentaient encore de le rétablir sur le trône, je le condamne dès à présent à subir la mort aussitôt que la prise d’une de nos villes sera officiellement connue ».
Le 20 janvier, la constituante vote la mort du roi avec une voix de majorité. Certains, dont Duboë, réclament alors le sursis, rejeté également. Bien que le résultat du vote fût très serré, il est donc dans le camp des perdants et la violence des affrontements politiques l’incite à la prudence. La Commune de Paris et les Sans-Culottes n’hésitent pas à accuser de trahison ceux qui n’ont pas voté pour la mort. Auprès de ses mandants, il tient à préciser qu’il est un « vrai républicain » et qu’il ne veut pas « relever le trône renversé ». Dans le livret exposant les « Motifs des opinions que j'ai émises à la tribune de la Convention Nationale », il rappelle que son vote en faveur de la proposition de l’appel au peuple lui a déjà valu beaucoup de critiques. Il craint manifestement qu’on lui reproche à nouveau son choix, se défend même d’avoir fait preuve de lâcheté, ce qui le conduit à une argumentation incertaine : il poursuit, écrit-il, le même but que les partisans de l’exécution, il cherche même à assurer leur « triomphe » mais il a préféré une voie plus sûre pour y parvenir. Il cherche donc à se justifier, anticipe les critiques. Il semble aussi s’inquiéter pour sa famille qui pourrait, elle aussi, être menacée après ce vote. Il rappelle donc à ses mandants son ancrage local et le plaisir qu’il aura à retourner parmi eux au terme de son mandat.
La lettre de Duboë permet de mettre en évidence les principaux enjeux du procès. Juger et condamner le roi, même pour les plus farouches partisans de la République, constituait un acte symbolique considérable. La lettre illustre aussi les énormes tensions qui parcourent la France en cet hiver 1793. Son inquiétude annonce les épisodes de la Terreur à venir.
Pour aller plus loin :
- Antoine De Baecque, « Le dernier jour de Louis XVI », Les collections de l’Histoire, 25, pp. 60-63.
- Pierre-François Duboë, Motifs des opinions que j'ai émises à la tribune de la Convention Nationale, Paris, 1793, à télécharger.
- François Furet, Mona Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, sv « Procès du roi », Paris, Flammarion, 1988.
- Auguste Kuscinski, Dictionnaire des Conventionnels, Editions du Vexin français, Brueil-en-Vexin, 1973.
- Albert Soboul, Le procès de Louis XVI, Paris, Gallimard, 1966.
- Albert Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, sv « Procès du roi », Paris, PUF, 1989.
- Sophie Wahnich, La Révolution française. Un événement de la raison sensible, 1787-1799, Paris, Hachette, 2017.
Transcription :
Paris, le 3 février, l'an 2 de 1a République française
Chers concitoyens,
Je n’ai jamais oublié que j'ai passé plus de vingt ans de mon existence parmi vous et que, pendant ce temps, vous m'avez honoré de votre estime. Je n'ai pas oublié que, lorsque la confiance publique me plaça au tribunal du district de Laigle, vous m'y avez installé avec une cordialité qui me sera toujours chère. Je n'ai pas oublié que, porté par les suffrages du corps électoral à la Convention nationale, je suis devenu un de vos mandataires. Je n'oublie pas enfin que ma femme et mes enfants, que vous avez vus naître, vivent en ce moment parmi vous et qu'au sortir de ma pénible carrière, je dois les rejoindre pour jouir encore une fois du bonheur d'habiter dans vos murs.
C'est à tant de titres, chers concitoyens, que je dois vous soumettre la conduite que j'ai tenue dans le jugement de Louis qui est sans doute l'acte le plus important auquel un représentant de la nation puisse concourir. Pour m'acquitter de ce devoir, permettez que je vous adresse vingt-cinq exemplaires des motifs qui ont servi de base aux opinions que j'ai énoncées lors des appels nominaux qui ont eu lieu dans ce jugement.
Vous y verrez que je me suis moins attaché à la facilité de punir un grand coupable qu'à chercher dans la prolongation de son existence les moyens qui m’ont paru les plus propres à ménager le sang des citoyens, le trésor public et l'espoir d'une paix désirable, après quatre ans de révolution qui ont coûté si cher à la France. Vous y verrez que mes principes ne sont point inconciliables avec ceux qui caractérisent un vrai républicain puisqu'ils ne tendent qu'à la prospérité de la chose publique. Vous y verrez enfin que les mesures auxquelles j'ai conclu ne tendaient pas à relever le trône renversé.
Si, lorsque plusieurs désirent atteindre le même but, toute la gloire doit appartenir à ceux qui l'ont frappé avec rapidité, en franchissant tous les dangers, au moins ceux qui par prudence ont cru devoir éviter les écueils pour y parvenir avec plus de sûreté, ne doivent pas être considérez comme des lâches, lorsque surtout, ils se serrent étroitement pour assurer le triomphe des premiers.
Ainsi, quoique je sois dans la classe des derniers, je croirai toujours avoir voulu atteindre le but, si mes opinions sont pures à vos yeux et si leur développement me peut conserver votre estime. C'est mon unique vœu qui est inséparable de mon amour constant pour la liberté de mon pays et de mon inviolable attachement pour mes concitoyens.
Je suis fraternellement votre représentant.
Duboë
Thématique(s) :
- Sciences sociales
- Science politique (politique et gouvernement)
- Le législatif
- France
- Le législatif
- Science politique (politique et gouvernement)
- Sciences sociales
- Problèmes et services sociaux. Associations
- Problèmes et services sociaux : criminologie
- Peines. Sanctions
- Peine capitale
- Peines. Sanctions
- Problèmes et services sociaux : criminologie
- Problèmes et services sociaux. Associations
Motivations imprimées (document en entier).pdf
Lettre manuscrite (document en entier).pdf