La dernière carte postale d'Edgard postée à Drancy
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Usage pédagogique
- Date du document : 04/03/1943
- Référence : Archives privées d'Evelyne Kahn
- Auteur(s) : Edgar Kahn
- Lieu(x) : Drancy (Seine-Saint-Denis) , Lavelanet (Ariège) , Maïdanek/Majdanek (Pologne)
- Période(s) : De 1914 à nos jours
- Type(s) de document : Carte postale
Présentation :
Le document présenté ici (et transcrit ci-dessous) est la dernière carte postale écrite par Edgard Kahn à sa femme Liesel depuis le camp de Drancy. Elle provient des archives privées d’Evelyne Kahn, leur fille.
Edgard est arrêté à Lavelanet (Ariège) le 23 février (voir document dans ce dossier). Après un passage au camp du Vernet et/ou de Gurs, il est transféré le 26 février à Drancy (Seine-Saint-Denis) qui est le principal lieu de détention et de déportation des juifs raflés en France. Les conditions de détention y sont particulièrement difficiles.
Le camp est installé dans la Cité de la Muette, un ensemble d’immeubles construits entre 1931 et 1937 et qui n’avaient pas trouvé de locataires. D’abord occupé par la Garde Républicaine, il est réquisitionné par l’armée allemande en juillet 40 pour y enfermer des prisonniers de guerre français et anglais. A partir d’août 1941, les juifs persécutés par les nazis et Vichy y sont internés ; 90 % des juifs déportés de France sont partis de Drancy. Le premier convoi à destination d’Auschwitz part en mars 42 : la « Solution finale » commence alors à être mise en œuvre en France.
De 1941 à 1943, le camp est directement géré par l’Etat français. Différents services administratifs et policiers y travaillent, notamment la police des Questions juives qui multiplie les exactions envers les détenus. L’ensemble est sous la surveillance de la gestapo. Comme l’écrit Laurent Joly (L’Etat contre les juifs, Paris, Grasset, 2018), le camp est donc « un microcosme de collaboration administrative et policière ». C’est la préfecture de police, en accord avec la gestapo, qui décide de la composition des convois à destination d’Auschwitz. Les juifs étrangers sont les premiers sélectionnés ; parmi les juifs français viennent ensuite les naturalisés, comme ceux qui, avec Germaine (Lilli) Meyer, la sœur d’Edgard, sont déportés dans le convoi n° 48 du 13 février 1943 (voir document dans ce dossier).
En juillet 43, le camp de Drancy passe sous contrôle direct des autorités d’occupation, en l’occurrence Aloïs Brunner, capitaine SS et cadre de la police politique nazie (Sipo-SD). Les gendarmes français sont alors chargés de la garde extérieure du camp. Les convois de déportation continuent de partir de Drancy jusqu’au 17 août 1944. A quelques jours de la libération de Paris, alors que la Wehrmacht bat en retraite, les nazis poursuivent coûte que coûte leur entreprise d’extermination. 61 000 des 64 759 déportés de Drancy (soit plus de 94 %) sont envoyés à Auschwitz, les 6 % restant, comme Edgard Kahn, à Majdanek (Maidanek) ou à Sobibor. Moins de 2000 (3 %) d’entre eux ont survécu.
Edgard arrive à Drancy le 28 février, avec les autres raflés en représailles de l’assassinat de deux officiers allemands le 13 février. Ce sont pour la plupart des juifs étrangers, arrêtés par les services de police allemands ou français. Le 3 mars, il écrit à sa femme, Liesel, restée seule à Lavelanet avec leur fille Berthie. Liesel est enceinte, à quelques jours de la délivrance ; c’est sans doute ce qui l’a sauvée. Edgard s’inquiète pour l’enfant ; Evelyne est née le 26 février, quelques jours après l’arrestation d’un père qu’elle ne connaîtra jamais. On ne peut pas se représenter l’angoisse d’Edgard mais on la perçoit : il donne des conseils, il essaie d’être rassurant, il rappelle à sa femme les amis et la famille sur qui on peut compter. Certaines phrases de son courrier restent un peu mystérieuses : « cause avec ton médecin pour l’avenir ». Peut-être avaient-ils prévu la possibilité de se cacher quelque part ? De fait, Liesel passera le reste de la guerre cachée avec ses deux filles par les bonnes sœurs dans l’hôpital où elle a accouché.
Edgard écrit : « Tous nos chers sont passés par ici ». En effet, Marcel, son beau-frère, est déporté depuis Drancy en septembre 42. De même, ses parents, Julius et Ida, et son petit neveu, Rudolph, le fils de Marcel, sont détenus à Drancy au mois d’octobre 42 (voir documents dans ce dossier), puis déportés à Auschwitz le 6 novembre. Lilli, la sœur d’Edgar, était avec eux mais comme elle était française, elle resta à Drancy jusqu’au 13 février : « Lilly a quittée également Drancy avant 3 semaines. »
Le 4 mars, Edgard ajoute dans la marge de carte, cette simple et terrible mention : « 4/3 43. Nous partons ». Le convoi n°50 est à destination de Maïdanek, un camp situé dans les faubourgs de Lublin, en Pologne. Comme Auschwitz, le camp de Maïdanek est à la fois un camp de travail forcé et un centre de mise à mort, équipé de chambres à gaz et de crématoires. Le camp fonctionne à partir de 1941 ; il est libéré le 24 juillet 44 par les troupes soviétiques. Entre 170 000 et 230 000 personnes y sont mortes. Nous ne savons pas si Edgard a été assassiné dès son arrivée ou s’il a passé quelques temps dans le camp avant de mourir d’épuisement ou de maladie, ou bien encore sous les coups des gardiens.
Transcription :
3/3 43
Ma petite femme chérie !
Quelques heures avant le départ pour… je veux t’écrire encore une fois. Ca sera la dernière fois qu’on me donne l’autorisation de t’écrire. Tous nos chers sont passés par ici, Lilli a quittée également Drancy avant 3 semaines. J’ai trouvé des amis à elle qui étaient très gentilles envers moi. Nous partons avec un grand convoi et j’ai beaucoup des amis de ancien temps et des camps. J’espère bien que tu ma chère Liesel te porte bien et que notre enfant est née entre-temps. Est-ce une fille ou un garçon ? J’ai beaucoup à te demander, mais malheureusement tu ne peux pas me répondre. Nos chers ont déposé chez oncle [M] de l’argent et tu peux le demander de t’envoyer. N’oublies pas d’écrire à Carcassonne et, pour des vêtements à « Ore » [ ?] Montpellier. La Croix Rouge suisse a une colonie dans les environs des Sabarat. En tout cas, cause avec ton médecin pour l’avenir ; d’ici on n’a pas le droit d’emporter ni de l’argent ni d’autres choses de valeur. Un bon jour pour mes amis, particulièrement pour Marthe. Toi ma chère femme et mes enfants je vous embrasse mille fois. Votre khatsi et Pappé. Un bon jour pour les familles Clesgue, Glanet, Godal et Eychene.
[En marge, à gauche :] Mes salutations pour Mrs. Costa et Galvan.
[En marge, à gauche, en bas :] 4/3 43 Nous partons.
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