Un récit des bombardements à Flers en juin 1944
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Usage pédagogique
- Date du document : 06/07/1944
- Référence : 41 J 123
- Lieu(x) : Flers
- Période(s) : De 1914 à nos jours
Présentation :
Ce courrier, daté du 6 juillet 1944 (voir la transcription ci-dessous), évoque les terribles bombardements qui ont frappé Flers au cours du mois de juin. Ils ont causé au moins une centaine de morts et détruit les deux tiers de la ville.
L’auteure du courrier a tout perdu dans les bombardements, comme des dizaines de milliers de Normands, et doit compter seulement sur la solidarité pour subsister. On perçoit très clairement sa douleur et son désarroi dans cette lettre. Il faudra plusieurs années pour reloger toutes les victimes de la guerre.
Transcription :
Le Buisson-Jourdan, Messei, 6 Juillet 44
Ma chère petite Amie,
Je reçois votre lettre seulement ce soir et je réponds tout de suite. Nous sommes comme les pauvres gens de Caen dont vous nous parlez. Nous n’avons que ce que nous avons sur le dos et avons vu notre maison crouler sur nous pour brûler ensuite.
Mr Beaugrand, Mme Lacoux ont subi notre sort et n’ont plus de maison ; je ne sais où ils se sont réfugiés. Nous sommes chez une ancienne élève qui ne pouvant se résigner à nous savoir mortes sous les décombres comme cela se disait, nous a cherchées et retrouvées. Nous n’avons pas revu nos amis et amies. Ils ne sont pas morts, mais dans quel coin de la campagne sont-ils partis ? Je ne le sais pas encore.
Quelle tristesse de voir ma pauvre maman sans maison, sans rien. Elle est partie en chaussons ; nous venions de nous mettre à table pour souper quand les bombes sont tombées sur et autour de la maison.
Nous voyons 5 entonnoirs autour de nos ruines et les 3 étages sont aplatis dans la cave. Impossible de rien retrouver. Quel spectacle que la ville en feu !
Quelle vision que la ville en ruines. Tout le centre de Flers est absolument anéanti. On compte 29 morts dans notre voisinage immédiat, 5 dans une famille, 4 dans une autre ; ma voisine d’en face que je voyais pour tâcher de la ramener au bon Dieu est parmi les victimes. Nos voisins du 17 ont été retrouvés enlacés. La boulangère d’à côté est morte elle aussi en voulant retrouver son sac. Nous avons nos papiers, nos carnets de pension, nos petites économies, une toute petite valise de linge et c’est tout ; ni fourchettes, ni aiguille ni paire de ciseaux, ni brosse, ni verre, ni assiette, ni chaise, ni quoi que ce soit d’autre.
C’est triste vous savez d’être comme un pauvre chemineau. Il faut vraiment mettre son orgueil sous ses pieds et accepter l’aumône avec reconnaissance.
Je pensais écrire à Melle Launay mais il faut bien aider ceux qui nous donnent l’hospitalité et les jours passent amenant la fatigue sans que j’aie le temps de demander une feuille de papier et de l’encre et un porte-plume puisqu’en tout je dépends du bon cœur des autres.
Nous vous embrassons Maman et moi affectueusement peut-être pour la dernière fois car qui sait ce que nous réserve [suite en haut à gauche de la première page] demain. Amitiés en Jésus. [signature].
Récit du bombardement de Flers 41 J 123.pdf