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Le massacre d'une famille de collaborateurs... et d'un innocent

  • Usage pédagogique Usage pédagogique
  • Date du document : 25/04/1944
  • Référence : 2 W 15
  • Auteur(s) : gendarmerie nationale
  • Lieu(x) : Ferrières-la-Verrerie
  • Période(s) : De 1914 à nos jours

Présentation :

Pendant la nuit du 24 au 25 avril 1944, dans la commune de Ferrières-la-Verrerie, au Nord-Est du département, toute une famille accusée de collaboration est assassinée par un groupe de résistants. Cet épisode est sans doute le plus sanglant de l’épuration sauvage dans l’Orne mais il est particulièrement tragique puisque parmi les victimes se trouvait un ouvrier de confession juive, caché sous un faux nom. Le document présenté ici est le rapport de gendarmerie dressé d’après les observations réalisées le 25 avril.

Dans la notice consacrée à cette affaire (publiée dans le DVD « La Résistance dans l’Orne, Aeri, 2005), Stéphane Robine note que la famille Tessier était connue pour ses opinions et son engagement collaborationniste. Pierre, le père, et Maurice, l’un des fils, sont membres du Parti Populaire Français (PPF). Ce parti, créé en 1936 par Jacques Doriot, organise des opérations de propagande et travaille étroitement avec la Milice et les auxiliaires de la Gestapo, dirigés dans l’Orne par Bernard Jardin, lui-même membre du parti (voir dans ce dossier le chapitre « Une répression féroce »). Dans le département, le PPF a compté au total 245 adhérents pendant toute la période de la guerre ; il est dirigé par Emile Lechat, jusqu’à son élimination par la Résistance en janvier 44 (voir le document dans ce chapitre). Quelques jours avant, Maurice Tessier a participé en région parisienne à un stage de formation des Gardes Françaises, un groupe ultra-collaborationniste. Toujours selon Stéphane Robine, les Tessier sont également accusés de se livrer au Marché noir au profit des Allemands et de dénoncer les réfractaires au STO. Toutes les figures locales de la collaboration ainsi qu’un officier de la Kommandantur d’Alençon assisteront aux funérailles

Le groupe de résistants a abattu tous ceux qui se trouvaient dans la maison, sept personnes au total, y compris le plus jeune fils, âgé de 15 ans. Sans doute ne voulaient-ils laisser aucun témoin vivant. Parmi les victimes figure aussi un certain Michel Leduc, ouvrier agricole employé par la famille. Mais le rapport de la gendarmerie précise que ses papiers ne semblent pas en règle. Et pour cause : Michel Leduc s’appelait en réalité Tenenhaum. Dans un courrier adressé à la préfecture par son épouse en février 45, on apprend qu’il était « israélite, évadé de camp de concentration ». Mme Tenenhaum précise que les Tessier savaient que son mari était juif. On s’explique mal pourquoi une famille de collaborateurs notoires, dont plusieurs membres sont engagés dans un parti ouvertement antisémite, abritait un réfugié juif. Cet épisode tragique nous rappelle utilement que la Seconde Guerre mondiale en France a engendré des situations complexes où, dans la Résistance comme dans la collaboration, il y avait de la place pour toute une gamme de comportements qui ne se réduisaient pas à une alternative binaire. Et on ne peut qu’être frappé par le terrible parcours de M. Tenenhaum, juif échappé d’un camp, réfugié chez des collaborateurs et assassiné par des résistants.

Le massacre de la famille Tessier s’inscrit dans le cadre de ce que l’on appelle l’épuration dite « sauvage », ou extra-judiciaire. Elle a fait environ 10 000 victimes en France, pour la plupart avant le Débarquement. Dans l’Orne, on relève une quarantaine d’exécutions selon Gérard Bourdin ("De la collaboration à l’affaire Bernard Jardin", Le Pays Bas-Normand, n°241-242, 2001) : 16 avant le 6 juin, 23 de juillet à août 44. Mais le cas de la famille Tessier reste singulier. En effet, après la guerre, on a pu identifier assez facilement les auteurs de la plupart de ces opérations d’épuration. Ainsi, on sait qui a assassiné Gabriel Morineau ou Emile Lechat. Pour la famille Tessier, par contre, le mystère reste entier ; personne n’a revendiqué. Dans son courrier de février 45, Mme Tenenhaum affirme qu’il s’agit d’un groupe affilié au réseau Vengeance mais, selon Jean Vigile, correspondant ornais du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, qui a rassemblé une formidable documentation sur la guerre dans le département, l’opération aurait été menée par le groupe communiste des FTP MOI (Francs-Tireurs et Partisans, Main d’œuvre Immigrée) de Sées, composé essentiellement de réfugiés espagnols. La documentation, pour l'heure, ne permet pas de trancher.

L’assassinat de la famille Tessier témoigne de la violence qui éclate dans la société française pendant les derniers mois de l’Occupation. Alors que la défaite s’approche et que le régime de Vichy se décompose, la gestapo et ses auxiliaires locaux multiplient les opérations de répression, les brutalités, les assassinats et les arrestations. La Résistance tente de rendre les coups, au prix parfois de victimes innocentes.

  • assassinat famille Tessier - rapport de gendarmerie 2W15_compressed.pdf

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