Berthold
- Période(s) : De 1914 à nos jours
Une enfance sarroise
Berthold est né à Merzig, en Sarre, le 25 mai 1925. Ses parents sont Gustel (née Kahn) et Marcel Bonnem, mariés en 1924. Il a une petite sœur, Edith, née en 1927, et un petit frère, Rudolph, né en 1929.
Comme eux, il a probablement vécu une enfance ordinaire, loin des agitations de la vie politique allemande. Ses parents s’occupent de l’épicerie familiale. Le reste de la famille ne vit pas loin : les grands-parents maternels, Julius (Opa) et Ida (Oma) Kahn, la grand-mère paternelle, Rebecca Bonnem, dont le mari est décédé en 1931, les frères et soeurs de sa mère : Alfred, Edgard, Herta, Lilli. Tous habitent Merzig où les Kahn sont installés depuis au moins le XIXe siècle. Ils semblent vivre dans une certaine aisance.
La Palestine
En janvier 1935, le référendum en faveur du rattachement de la Sarre à l’Allemagne nazie va percuter leur existence. Toute la famille quitte la Sarre pour échapper aux persécutions : certains gagnent la France toute proche mais les parents de Berthold choisissent d’émigrer en Palestine, avec l’oncle Edgard et son épouse, Liesel. C’est ainsi qu’ils s’installent à Tel Aviv. On peine à imaginer le bouleversement : les lumières, les odeurs, les couleurs, les bruits, on est bien loin des collines sarroises. Nos informations sont très lacunaires sur cet épisode palestinien ; comme les enfants de son âge Berthold va à l’école et à la plage, avec sa sœur et son frère.
Mais la période est sombre. Les tensions entre Arabes et Juifs sont de plus en plus vives à mesure que s’accroît l’immigration juive. Les Britanniques, qui gèrent le territoire par mandat de la SDN, ne parviennent pas à contrôler la situation. En avril 1936 éclate la Grande Révolte arabe, une explosion de colère contre l’installation des juifs d’Europe en Palestine. Les affrontements sont extrêmement violents. De plus, le travail est rare et les Bonnem s’acclimatent mal. Finalement, ils renoncent à la Palestine et décident de rejoindre la branche de la famille réfugiée à Alençon.
L’installation à Alençon
C’est donc un nouveau bouleversement pour Berthold : le 1er mars 1937, il débarque à Marseille avec sa famille. Ils vont s’installer à Alençon, rue des Granges. Berthold y retrouve ses grands-parents Julius et Ida, son oncle Alfred et son épouse Rosa (Hermine). Il a alors douze ans.
Suivent alors deux années sans doute assez tranquilles. Son père se lance dans le commerce, Edith est scolarisée à l’école communale de jeunes filles, à Montsort, tout près du magasin d’Alfred tandis que Berthold et le petit Rudolph vont à l’école des garçons, cinquante mètres plus haut dans la rue.
Comme sa sœur Edith, Berthold est un très bon élève. Il passe et obtient brillamment le certificat d’étude primaire le 23 juin 1939. Pourtant, il ne poursuit pas ses études ; d’après le journal de son cousin Joë (Friedemann), la famille avait peu de ressources. Alors Berthold trouve une place d’apprenti en boulangerie chez Eugène Quentin, boulanger-pâtissier installé rue de Sarthe, tout près de la maison familiale. Il commence à l’automne 1939 et y reste jusqu’en 1942.
1939-1940 : la guerre et l’Exode
La guerre les rattrape et apporte de nouveaux bouleversements. Dès septembre 39, les cousins Friedemann (enfants de la tante Herta et de Siegmund Friedemann), Charles, 10 ans, Herbert, 9 ans, et Joë, 2 ans s’installent à Alençon avec leur mère. Le gouvernement français en effet a demandé aux civils qui le pouvaient de quitter les régions frontalières. Puis c’est la tante Lilli qui arrive de Sarrebourg ; son mari Albert est mobilisé. Tous s’installent dans la maison de la rue des Granges. Herbert rapporte dans son journal : « Nous étions donc au 23 rue des Granges, Grand-père, Grand-mère, Oma Bonnem, Oncle Marcel, tante Gustel, Berthold, Edith, Roudi, Oncle Edgar, tante Liesel, Berthie, tante Lilly, Maman, Charles, Joë et moi soit 16 personnes ».
Le 21 mai 1940, son père et ses oncles sont internés dans le camp de Funay, au Mans, en tant que ressortissants de pays ennemi. Le 26 mai, sa mère ses tantes puis sa grand-mère Ida sont internées également pendant quelques jours, dans un camp de Courteille, puis libérées. D’autres détenues n’auront pas cette chance et seront transportées à Gurs, où les conditions de détention sont très difficiles.
A la fin mai 1940, la Wehrmacht s’approche d’Alençon. La famille décide alors de fuir, en compagnie des voisins Carbonari, réfugiés communistes italiens. Comme des millions de Français (mais plus inquiets encore « parce que juifs » comme l’écrit la tante Herta), ils prennent la route un samedi matin. Ils sont 25 en tout, en comptant les Carbonari et leurs amis, dont l’un fait le chauffeur, « répartis dans une camionnette, ouverte à tous vents, assis sur trois bancs et quelques chaises, une petite voiture en remorque contenant quatre ou cinq personnes, et trois bicyclettes, dont une sans pneus, montés par mon neveu Berthold, Gérard, le neveu d'Hermine [Rosa] et Argenté Carbonari. La voiture en remorque avait, au volant, le fils du chauffeur de la camionnette » (extrait du journal de Herta Kahn). Tout cet équipage rejoint les flots des réfugiés de l’exode et se dirige vers le Sud. Dans le désordre général, les trois garçons à bicyclette s’égarent pendant quelques heures mais parviennent à retrouver le reste de la famille. Au bout de quelques jours, faute d’essence, il faut s’arrêter dans un hameau, à Vilgué dans les Deux-Sèvres (à quelques kilomètres au Nord de Thouars). Grâce à la solidarité des habitants, le petit groupe peut y séjourner quelques semaines. Berthold est même embauché comme ouvrier boulanger. Après l’armistice (le 22 juin), le gouvernement de Pétain demande aux Français de rejoindre leur domicile. Le 27, d’après le journal d’Ida (la grand-mère), la famille revient à Alençon.
L’Occupation
Berthold reprend son emploi à la boulangerie et la vie reprend son cours. Pourtant les pères ne sont plus là : Marcel, celui de Berthold, a été transféré en zone Sud dans un camp de prestataires avec Edgard et Alfred. Il ne les reverra plus. Et puis les persécutions arrivent (voir le chapitre "Les persécutions") : dès septembre, comme on l’a vu, c’est le recensement obligatoire ; en octobre, l’obligation d’apposer un tampon juif sur la carte d’identité ; en février 41, le commerce de l’oncle Alfred, tenu par son épouse Rosa et la tante Lilli, est « aryanisé » et doit fermer. Le 10 novembre, Berthold doit aller certifier qu’il ne possède pas de poste de radio puisque c’est désormais interdit aux juifs.
On ne sait pas comment Berthold a vécu cette période. Mme Cescutti, une camarade de classe de sa sœur, Edith, raconte que dans la maison de la rue des Granges l’atmosphère était devenue lourde. D’autant que cette maison se vide : les cousins Friedemann, leur mère Herta et la tante Liesel gagnent la zone Sud. Berthold reste avec son frère et sa sœur, sa mère, la tante Lilli et ses grands-parents. C’est alors un jeune homme, à la tenue plutôt soignée comme on peut le voir sur les photographies. D’après les courriers de Lilli, Berthold a de nombreux amis. Ils font des sorties à vélo, ils vont à la piscine ; certains d’entre eux font de la musique et ils se réunissent parfois rue des Granges pour jouer, accompagnés par Lilli au piano.
Auschwitz
Le temps passe et l’étau se resserre. En juin 42, le port de l’étoile jaune devient obligatoire puis arrive le 13 juillet. On a déjà évoqué dans ce dossier l’arrestation de Berthold, avec sa mère et sa sœur Edith. Tous trois sont alors déportés à Pithiviers, puis à Auschwitz (voir le chapitre « Rafles, déportation et extermination »).
Ils arrivent à Pithiviers le 17 juillet. Les deux femmes sont détenues dans le baraquement n°9, Berthold dans le 10. Le camp est rapidement débordé par l’arrivée des raflés du Vel d’Hiv. Le 31 juillet, Berthold et sa mère Gustel sont déportés dans le convoi n°13 à destination d’Auschwitz, en Pologne. Le train arrive le 2 août. Gustel, selon toute vraisemblance, est immédiatement « sélectionnée » pour les chambres à gaz. Berthold, quant à lui, entre dans le camp de concentration ; il est rasé, tatoué, revêtu de l’uniforme rayé marqué de l’étoile jaune. Il devient « ein stuck » (un "morceau", une "pièce") dans le langage des SS. D’après les documents du camp, il meurt le 23 août, à 17 ans. Il aura survécu 21 jours à l’horreur du camp.
Berthold est né à Merzig, en Sarre, le 25 mai 1925. Ses parents sont Gustel (née Kahn) et Marcel Bonnem, mariés en 1924. Il a une petite sœur, Edith, née en 1927, et un petit frère, Rudolph, né en 1929.
Comme eux, il a probablement vécu une enfance ordinaire, loin des agitations de la vie politique allemande. Ses parents s’occupent de l’épicerie familiale. Le reste de la famille ne vit pas loin : les grands-parents maternels, Julius (Opa) et Ida (Oma) Kahn, la grand-mère paternelle, Rebecca Bonnem, dont le mari est décédé en 1931, les frères et soeurs de sa mère : Alfred, Edgard, Herta, Lilli. Tous habitent Merzig où les Kahn sont installés depuis au moins le XIXe siècle. Ils semblent vivre dans une certaine aisance.
La Palestine
En janvier 1935, le référendum en faveur du rattachement de la Sarre à l’Allemagne nazie va percuter leur existence. Toute la famille quitte la Sarre pour échapper aux persécutions : certains gagnent la France toute proche mais les parents de Berthold choisissent d’émigrer en Palestine, avec l’oncle Edgard et son épouse, Liesel. C’est ainsi qu’ils s’installent à Tel Aviv. On peine à imaginer le bouleversement : les lumières, les odeurs, les couleurs, les bruits, on est bien loin des collines sarroises. Nos informations sont très lacunaires sur cet épisode palestinien ; comme les enfants de son âge Berthold va à l’école et à la plage, avec sa sœur et son frère.
Mais la période est sombre. Les tensions entre Arabes et Juifs sont de plus en plus vives à mesure que s’accroît l’immigration juive. Les Britanniques, qui gèrent le territoire par mandat de la SDN, ne parviennent pas à contrôler la situation. En avril 1936 éclate la Grande Révolte arabe, une explosion de colère contre l’installation des juifs d’Europe en Palestine. Les affrontements sont extrêmement violents. De plus, le travail est rare et les Bonnem s’acclimatent mal. Finalement, ils renoncent à la Palestine et décident de rejoindre la branche de la famille réfugiée à Alençon.
L’installation à Alençon
C’est donc un nouveau bouleversement pour Berthold : le 1er mars 1937, il débarque à Marseille avec sa famille. Ils vont s’installer à Alençon, rue des Granges. Berthold y retrouve ses grands-parents Julius et Ida, son oncle Alfred et son épouse Rosa (Hermine). Il a alors douze ans.
Suivent alors deux années sans doute assez tranquilles. Son père se lance dans le commerce, Edith est scolarisée à l’école communale de jeunes filles, à Montsort, tout près du magasin d’Alfred tandis que Berthold et le petit Rudolph vont à l’école des garçons, cinquante mètres plus haut dans la rue.
Comme sa sœur Edith, Berthold est un très bon élève. Il passe et obtient brillamment le certificat d’étude primaire le 23 juin 1939. Pourtant, il ne poursuit pas ses études ; d’après le journal de son cousin Joë (Friedemann), la famille avait peu de ressources. Alors Berthold trouve une place d’apprenti en boulangerie chez Eugène Quentin, boulanger-pâtissier installé rue de Sarthe, tout près de la maison familiale. Il commence à l’automne 1939 et y reste jusqu’en 1942.
1939-1940 : la guerre et l’Exode
La guerre les rattrape et apporte de nouveaux bouleversements. Dès septembre 39, les cousins Friedemann (enfants de la tante Herta et de Siegmund Friedemann), Charles, 10 ans, Herbert, 9 ans, et Joë, 2 ans s’installent à Alençon avec leur mère. Le gouvernement français en effet a demandé aux civils qui le pouvaient de quitter les régions frontalières. Puis c’est la tante Lilli qui arrive de Sarrebourg ; son mari Albert est mobilisé. Tous s’installent dans la maison de la rue des Granges. Herbert rapporte dans son journal : « Nous étions donc au 23 rue des Granges, Grand-père, Grand-mère, Oma Bonnem, Oncle Marcel, tante Gustel, Berthold, Edith, Roudi, Oncle Edgar, tante Liesel, Berthie, tante Lilly, Maman, Charles, Joë et moi soit 16 personnes ».
Le 21 mai 1940, son père et ses oncles sont internés dans le camp de Funay, au Mans, en tant que ressortissants de pays ennemi. Le 26 mai, sa mère ses tantes puis sa grand-mère Ida sont internées également pendant quelques jours, dans un camp de Courteille, puis libérées. D’autres détenues n’auront pas cette chance et seront transportées à Gurs, où les conditions de détention sont très difficiles.
A la fin mai 1940, la Wehrmacht s’approche d’Alençon. La famille décide alors de fuir, en compagnie des voisins Carbonari, réfugiés communistes italiens. Comme des millions de Français (mais plus inquiets encore « parce que juifs » comme l’écrit la tante Herta), ils prennent la route un samedi matin. Ils sont 25 en tout, en comptant les Carbonari et leurs amis, dont l’un fait le chauffeur, « répartis dans une camionnette, ouverte à tous vents, assis sur trois bancs et quelques chaises, une petite voiture en remorque contenant quatre ou cinq personnes, et trois bicyclettes, dont une sans pneus, montés par mon neveu Berthold, Gérard, le neveu d'Hermine [Rosa] et Argenté Carbonari. La voiture en remorque avait, au volant, le fils du chauffeur de la camionnette » (extrait du journal de Herta Kahn). Tout cet équipage rejoint les flots des réfugiés de l’exode et se dirige vers le Sud. Dans le désordre général, les trois garçons à bicyclette s’égarent pendant quelques heures mais parviennent à retrouver le reste de la famille. Au bout de quelques jours, faute d’essence, il faut s’arrêter dans un hameau, à Vilgué dans les Deux-Sèvres (à quelques kilomètres au Nord de Thouars). Grâce à la solidarité des habitants, le petit groupe peut y séjourner quelques semaines. Berthold est même embauché comme ouvrier boulanger. Après l’armistice (le 22 juin), le gouvernement de Pétain demande aux Français de rejoindre leur domicile. Le 27, d’après le journal d’Ida (la grand-mère), la famille revient à Alençon.
L’Occupation
Berthold reprend son emploi à la boulangerie et la vie reprend son cours. Pourtant les pères ne sont plus là : Marcel, celui de Berthold, a été transféré en zone Sud dans un camp de prestataires avec Edgard et Alfred. Il ne les reverra plus. Et puis les persécutions arrivent (voir le chapitre "Les persécutions") : dès septembre, comme on l’a vu, c’est le recensement obligatoire ; en octobre, l’obligation d’apposer un tampon juif sur la carte d’identité ; en février 41, le commerce de l’oncle Alfred, tenu par son épouse Rosa et la tante Lilli, est « aryanisé » et doit fermer. Le 10 novembre, Berthold doit aller certifier qu’il ne possède pas de poste de radio puisque c’est désormais interdit aux juifs.
On ne sait pas comment Berthold a vécu cette période. Mme Cescutti, une camarade de classe de sa sœur, Edith, raconte que dans la maison de la rue des Granges l’atmosphère était devenue lourde. D’autant que cette maison se vide : les cousins Friedemann, leur mère Herta et la tante Liesel gagnent la zone Sud. Berthold reste avec son frère et sa sœur, sa mère, la tante Lilli et ses grands-parents. C’est alors un jeune homme, à la tenue plutôt soignée comme on peut le voir sur les photographies. D’après les courriers de Lilli, Berthold a de nombreux amis. Ils font des sorties à vélo, ils vont à la piscine ; certains d’entre eux font de la musique et ils se réunissent parfois rue des Granges pour jouer, accompagnés par Lilli au piano.
Auschwitz
Le temps passe et l’étau se resserre. En juin 42, le port de l’étoile jaune devient obligatoire puis arrive le 13 juillet. On a déjà évoqué dans ce dossier l’arrestation de Berthold, avec sa mère et sa sœur Edith. Tous trois sont alors déportés à Pithiviers, puis à Auschwitz (voir le chapitre « Rafles, déportation et extermination »).
Ils arrivent à Pithiviers le 17 juillet. Les deux femmes sont détenues dans le baraquement n°9, Berthold dans le 10. Le camp est rapidement débordé par l’arrivée des raflés du Vel d’Hiv. Le 31 juillet, Berthold et sa mère Gustel sont déportés dans le convoi n°13 à destination d’Auschwitz, en Pologne. Le train arrive le 2 août. Gustel, selon toute vraisemblance, est immédiatement « sélectionnée » pour les chambres à gaz. Berthold, quant à lui, entre dans le camp de concentration ; il est rasé, tatoué, revêtu de l’uniforme rayé marqué de l’étoile jaune. Il devient « ein stuck » (un "morceau", une "pièce") dans le langage des SS. D’après les documents du camp, il meurt le 23 août, à 17 ans. Il aura survécu 21 jours à l’horreur du camp.